François d’Assise a changé ma vie

 

Ce fut un choc et d'abord une rencontre avec ce lieu dont un Chinois pétri de la tradition géomancienne chinoise voit immédiatement que c'est un lieu faste. Je savais à l'époque que je ne pourrais pas retourner en Chine et me considérais comme un exilé. Mais là, en sortant de la gare, lorsque Assise m'est apparue à mi-hauteur de la montagne, ouvrant ses bras dans un geste d'accueil, j'ai senti qu'il me serait possible d'habiter cette terre d'Europe.

J'ai arpenté tous les endroits où François a vécu, avec mes amis d'abord et seul ensuite. Auprès de François, j'ai compris que les saints sont là pour nous montrer de quoi l'homme est capable dans le bien, alors que tant de criminels nous montrent de quoi l'homme est capable dans le mal. La vraie sainteté, loin d'être une forme de moralisme morose, est indispensable pour nous faire prendre la pleine mesure de notre destin au sein de l'univers.

Pourquoi appelez-vous François «le Grand Vivant»?

Parce qu'il a embrassé la vie dans sa totalité, sa part lumineuse, exaltante comme sa part sombre, tragique. Comme le Christ son maître, il sait que la voie de la vraie vie passe par la prise en charge des malheurs qui accablent le monde. Il ne doute pas que l'immense aventure de la Vie, toujours en devenir, a besoin de chacun de nous, qui sommes habités par la faim et la soif infinies, pour accéder à un autre ordre de la vie.

Pourquoi pensez-vous que François est le saint le plus extraordinaire?

Ce «frère universel», par son être et ses actes, par son superbe Cantique des créatures- «messire frère soleil», «notre sœur et mère terre», etc. -, a changé la couleur du monde occidental qui s'est révélé soudain plus chaleureux, fraternel, inspirant. Songeons à ce sombre XIIIe siècle, ravagé par les guerres et les épidémies, où l'on se méfiait de la nature, considérée comme le lieu de la chute, donc de la corruption. François opère un renversement de perspective qui annonce la Renaissance. Son Cantique des créatures a inauguré une grande lignée de poètes lyriques, à commencer par Dante, qui écrit à propos de François qu'un «soleil nous est né». Inspirée par François, La Divine Comédie s'achève par l'évocation de la «force d'amour qui meut le soleil et les autres étoiles».

François, écrivez-vous, n'était pas l'homme candide que présente l'imagerie populaire. Il n'a pas écrit son Cantique en se promenant dans les champs au printemps mais à la fin de sa vie. Comment a-t-il pu avoir cette vision cosmique lumineuse alors qu'il était aveugle et souffrait le martyre?

François a épousé la pauvreté et cette pauvreté fut sa force. La pauvreté, chez lui, consiste à se dépouiller, pas seulement de ses biens, mais aussi de toute peur, de tout préjugé, de toute répugnance, de tout souci de soi. Devenu un «rien bienveillant», totalement libre, il rayonne d'une lumière qui ne vient pas de lui. C'est avec cette force désarmée et désarmante qu'il va embrasser le lépreux, neutraliser les brigands, pacifier le loup de Gubbio. Les animaux farouches, les lièvres, les agneaux viennent d'instinct vers lui, attirés par cette force. Les humains aussi, qui trouvent en lui réconfort et confiance, sachant que la lumière qui émane de lui vient d'une transcendance qui ne trahit pas, ne corrompt pas. Lui-même, au bout de toutes les meurtrissures, parle de la joie parfaite. Joie de la donation totale, presque identique à celle du Créateur qui, à partir du Rien, a fait advenir le Tout.

Qu'est-ce que François a changé dans votre existence?

Cette rencontre a été initiatique et a changé ma vie. Dix ans après mon premier voyage à Assise, lors de ma naturalisation, j'ai choisi François comme prénom français. François d'Assise ne laisse personne indifférent. Tous ceux qui sont passés par Assise - GoetheChateaubriandJulien Green, Simone Weil - sont conquis par lui. Au milieu de nous, il a tracé un chemin de Vraie Vie possible. On peut même aller jusqu'à dire qu'il a rendu «praticable» la voie christique. Depuis lors, j'ai l'impression d'avoir constamment à côté de moi un frère, un ami qui m'empêche de verser dans la complaisance, le faux-semblant, qui me maintient dans la passion du vrai et du beau. Je préfère ne pas me définir comme chrétien, parce que je suis toujours en quête et habité par l'idée de l'Ouvert.

Et je ne me demande pas, comme le fait Emmanuel Carrère, si j'ai la foi ou pas. Mais à travers François j'ai mieux connu le Christ et épousé sa Voie. Je suis porté par la conception du Tao, mais il me semble que la Voie du Christ m'a mené plus loin, dans mon rapport aux êtres et dans l'expérience mystique qu'est pour moi la poésie. La pauvreté intérieure, qui dénude et rend accueillant, permet d'être poète. Cette pauvreté se cultive par la méditation. On peut prier presque tout le temps, dans les salles d'attente, partout. Prier est une façon de s'ouvrir aux êtres et à l'Être, de déchiffrer et de relier.