Pierre Teilhard de Chardin dans l’esprit d’Assise : retrouver l’amour de la Création chère à S. François, pour Construire la Terre dans la Paix et la fraternité

 » Pierre Teilhard de Chardin dans l’esprit d’Assise : retrouver l’amour de la Création chère à S. François, pour Construire la Terre dans la Paix et la fraternité« 

Remo Vescia

Commissaire de l’Exposition

L’Exposition Ensemble, construisons la Terre” réunit en premier lieu deux figures majeures de l’histoire de l’humanité : François Bernardone (1181-1226) et Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) puis, en confirmation de ce choix qui traverse les siècles, celle de François Cheng, qui traverse l’espace et les siècles en poète et calligraphe franco-chinois moderne. Né en Nanchang en Chine, en 1929, arrivé en France vingt ans plus tard, et entré à l’Académie Française en 2002. Enfin, la nomination, en 2013, du Pape François, est venue couronner et donner chair à notre projet, ce jésuite italo-argentin venu de l’autre côté du monde qui a choisi de s’appeler comme le Poverello d’Assise, pour nous confirmer le bien fondé de nos choix de son éminente personne.

Malgré les sept siècles qui séparent François d’Assise et Teilhard de Chardin, un même souffle les habite : tous deux, sont des poètes amoureux de la Vie, des aventuriers épris de l’Univers et du Monde, de l’Homme et de la Nature et par dessus tout, de l’Esprit de Dieu. Tous deux sont de grands croyants, fidèles à l’Église à laquelle ils se sont voués toute leur vie, même si souvent en opposition ouverte avec elle. Tous deux étaient convaincus d’avoir à la changer et d’abord le monde dans lesquels ils vivaient, par un retour aux sources. Ils croyaient tous les deux au Dieu trinitaire de leur enfance, unanimement. Ils avaient tous les deux foi en une religion enseignée par Saint Paul et par Saint Jean avec le Christ, Centre et sommet de l’Univers, Homme et Dieu, mort et Ressuscité, l’Alpha et l’Oméga, Centre et Sommet de l’Univers. Tous deux profondément convaincus qu’il ne suffit pas de prêcher la bonne nouvelle, mais de suivre et de vivre le Christ Dieu d’Amour, – sa Vie, sa Passion, sa Mort en Croix et sa Résurrection, – demeure le message éternel de la Révélation Chrétienne. Par leur regard pur vers l’Essentiel, la relation de l’homme à Dieu a été transformée, progressivement et inéluctablement et nos sociétés à la dérive et à la recherche de sens, peuvent maintenant se référer à ces personnages majeurs de l’histoire de l’humanité sans même s’en rendre compte, car ils sont l’un et l’autre, plus que jamais, d’actualité. Le Pape François confirme par sa manière de vivre, amplement cette Foi.

L’Alpha et l’Oméga à l’origine du Cosmos et de l’Évolution

Pour mieux retrouver leur inspiration, il faut commencer par s’intégrer à cette histoire, à son cours et à sa manière de s’inscrire dans une cosmologie universelle et ce qui peut en constituer, selon nous, la clé d’intelligence : l’idée d’évolution, base et référence primordiale de la pensée teilhardienne. On peut dire que si l’évolution est l’hypothèse la plus importante que l’intelligence humaine ait émis depuis longtemps elle est issue en droite ligne de la Bible. Même si son interprétation est encore objet de discussions, à l’intérieur même des religions du Livre. La Science, avec ses grands découvreurs, de Galilée à Darwin et à Teilhard, est naturellement évolutionniste, à l’exception de quelques esprits obtus… Et l’Eglise, longtemps figée dans un créationnisme obscurantiste, admet depuis quelques décennies, ouvertement, sa réalité et s’y réfère volontiers. L’Evolution n’est pas une théorie, a déclaré Jean-Paul II, c’est une réalité. Et le Christ en est le sommet, a dit Benoît XVI.

Certes au temps de François d’Assise la Science n’occupait pas la place prépondérante qui est la sienne dans la connaissance contemporaine, caractéristique de tant d’avancées techniques, comme elle l’est pour Teilhard, grand scientifique paléontologue du XXe siècle. Mais cette différence qui semblerait les séparer, n’entame en rien leur perception commune de la foi en un Dieu trinitaire, créateur du ciel et de la terre dans la durée et en Jésus Christ, Fils de Dieu. Le Christ Ressuscité qui les inspire et les unit dans leur foi       donnant ainsi plénitude de sens à leur perception du Monde. Car on ne peut comprendre qu’avec l’intelligence du monde de son temps. Sans doute les choses ne seront pas perçues de la même manière que nous, par les hommes des siècles futurs parce que la connaissance, éclairée par la Science en continuel progrès grâce aux travaux des hommes, aura continué de faire de nouvelles découvertes.

Mais il y a des Vérités immuables depuis toujours parce qu’elles sont de l’ordre de la connaissance immédiate irréfutable comme il fait sombre la nuit et clair le jour ou l’eau de mer est salée ou encore deux et deux font quatre. Aussi peut-on se demander : l’Évolution ou la cosmologie universelle procèderait-elle d’une grande idée à laquelle l’un comme l’autre ont été sensibles, même si cela n’a pas été explicité et exprimé de la même manière, par l’un et par l’autre ? Mais ceci n’est pas le sujet de notre réflexion sur l’Actualité de Teilhard aujourd’hui.

« Au commencement était le Verbe, dit l’Evangile de St Jean, et le Verbe était Dieu. Le Verbe était au commencement et le Verbe était Dieu. » A travers le vocable Verbe, source d’énergie créatrice, souffle créateur, on comprend que l’Énergie primordiale transcende ce qui est directement observable : l’immanent que la science peut analyser, mesurer, expliquer. Et ils ont pu en déduire, en bons chrétiens, qu’il y a Quelqu’un d’antérieur à tout et au temps lui-même, source première de toute vie et de tout amour, Quelque chose de plus Fort, de plus Grand et de plus Intelligent que nous tous, réunis depuis l’origine du monde dans un incessant devenir, en mouvement vers l’Oméga. Un très haut, tout puissant et bon Seigneur que nul homme est digne de nommer … comme dit François; un Seigneur de la Consistance et de l’Union qui occupe le Cœur de la Matière…, comme dit Teilhard.

Foi et Raison : le Christ, sommet de l’Évolution

Au moment où le monde se débat dans une grave crise non seulement économique, mais essentiellement de perte de sens, un effort de redressement basé sur la reconnaissance des valeurs éthiques parait plus nécessaire et plus urgent que jamais. Les progrès techniques modernes tendent à unir les peuples et à les rendre solidaires, et il semble particulièrement souhaitable de chercher à concilier l’image conceptuelle de l’univers que nous propose Teilhard avec les aspirations claires ou confuses de l’esprit humain : l’activité intellectuelle avec l’effort moral, les avancées scientifiques avec les recherches de la vérité de la foi religieuse. Foi et Raison ne sont-elles pas des chemins de vérité destinés à fonder l’espérance humaine, afin que la marche en avant de l’humanité se poursuive, plutôt que de se laisser berner par les facilités du matérialisme ambiant?

Il existe des personnes de grande valeur qui souffrent d’allergie au surnaturel, à tout ce qui n’entre pas dans le cadre restreint de l’expérimentation scientifique. Respectons leur foi dans la toute puissance d’un ‘Hasard’ génial qui leur permet de considérer leur propre intelligence comme son œuvre. Mais observons que s’ils ne reconnaissent que le Hasard comme cause unique du devenir du monde, il leur faut admettre que c’est ce même hasard qui les a conduits à faire ce choix et qu’ils ont une chance sur deux de se tromper[1]… Alors, autant s’en remettre au pari de Pascal ! Or Pascal, pas plus que François d’Assise ou Teilhard de Chardin, ne nous semble être le fruit du hasard. Ils nous paraissent plutôt des réussites de l’humanité, ainsi que beaucoup d’autres, et des mises en œuvre personnelles, librement assumées, du message christique vécu librement et personnellement, chacun selon sa personnalité et en son temps. Le Christ lui-même, peut-il paraitre comme le fruit du hasard ou même comme celui de l’imagination des hommes ? Il parait, au contraire, comme l’aboutissement d’une longue histoire, précisément celle que relate la Bible, pour constituer enfin, le « sommet de l’évolution », selon l’heureuse expression de Benoît XVI.[2] Aussi Teilhard, grand admirateur de François d’Assise, et grand défenseur de l’idée d’évolution – qu’il qualifie de cosmogénèse, tant elle englobe tout le devenir de l’Univers – résumera sa pensée, trois jours avant sa mort, à la dernière page de son journal, qui constitue son suprême témoignage de penseur et de religieux, en date du jeudi saint, 7 avril 1955 :

1) St Paul : Dieu tout en tous

2)COSMOS = Cosmogénèse >Biogénèse>Noogénèse> Christogénèse (Phénomène humain)

3)L’Univers est centré (Evolutivement en Haut, en Avant

Le Christ en est le centre >(Phénomène chrétien)

Ce que nous pouvons comprendre et résumer ainsi : la Cosmogénèse – l’histoire de l’Univers engendre la biogenèse, – l’histoire de la Matière Vivante dans la biosphère – engendre l’anthropogenèse, – l’histoire des hommes dotés d’esprit – noos – engendre la noogénèse, la responsabilité d’humaniser la Terre grâce à la christogénèse – l’Incarnation du Christ, Fils de Dieu fait Homme .

Accomplir l’homme consiste donc à sactifier la matière vivante, à se spiritualiser par l’élévation de l’esprit, pour se diviniser en une marche en haut et en avant vers ce que Teilhard appelle le point Oméga, le Christ Éternel.[3] La Cosmogénèse s’épanouit en noogenèse par développement de la noosphère (noos = esprit), enveloppe spirituelle, de l’esprit, – analogue à la biosphère, enveloppe organique de la vie matérielle. Nous croyons avec Teilhard qu’en s’humanisant la matière est appelée à se sublimer en Esprit. Et l’on comprend qu’après le merveilleux Cantique des créatures de St François (Loué sois-tu Seigneur pour notre frère soleil…), Teilhard entonne, à son tour, l’extraordinaire Hymne à la matière (Bénie sois-tu, universelle Matière, Durée sans limites, Ether sans rivages, Triple abîme des étoiles, des atomes et des générations, toi qui débordant et dissolvant nos étroites mesures. nous révèle les dimensions de Dieu). A ces deux sommets d’esprit sanctifié par des hymnes de louanges du Créateur, on peut désormais ajouter la magnifique prière du pape François qui clôt son encyclique « Loué sois-tu » que nous pourrons dire en terminant cette introduction.

St François paraît alors comme le plus bel exemple d’intelligence de l’Amour infini du Christ, avec lequel il s’identifie tellement qu’à la fin de sa vie il en reçoit les stigmates. Et Teilhard, comme le plus bel exemple d’Amour de l’Intelligence lumineuse du Christ, au point de « sortir » lui-même de la vie, le jour de Pâques 1955, le dimanche de la Résurrection, comme il en avait exprimé le vœu quelques temps auparavant. Tous deux ont librement et totalement consacré leur vie au Christ Éternel, ‘sommet de l’évolution’, Vérité fait Homme. Ils ont assumé, tous deux, le mystère de l’Incarnation du Christ. Ils ont donné un sens à leurs vies en s’identifiant à Lui, source de Lumière, d’Amour et de Vie.

Construire la Terre

Grâce à l’étude approfondie de leurs vies et de leurs écrits, nous nous proposons d’analyser, la Cosmologie théologique de St François et de Teilhard vécue intensément, par l’un et l’autre, chacun avec sa perception, donnée par chacun en son temps, à la lumière d’une même foi à défaut d’une même connaissance scientifique.

1) l’Evolution de la marche en avant de l’Homme sur Terre que Dieu permet en laissant « faire les choses se faire » comme dit Teilhard, en respectant la liberté de chacun.

2)  l’organisation que les hommes entendent donner à leur société, avec leurs nationalités et leurs cultures et leurs croyances religieuses, pour vivre ensemble, et donc de l’organisation de la vie sur Terre que nous devons respecter, – nous dirons en langage actuel, de manière écologique, avec la nécessité d’une conversion, comme l’encyclique du pape François nous y invite.

3) l’unité de la Création pour qui se réfère à des valeurs spirituelles non seulement comme règles de vie en société, mais par volonté d’élévation personnelle, de marche à l’étoile, dans le respect et l’Amour, par une prise de conscience de la Cosmogénèse Théologique  pour coopérer au parachèvement de la Création.

Construire la Planète Terre dans l’Amour

C’est dans cette extraordinaire vision de notre aventure sur Terre que le travail des hommes, la science et la technique acquièrent une signification exceptionnelle, et peuvent être considérés comme une invitation à s’élever car nous sommes investis d’une mission sacrée : nous sommes co-responsables du parachèvement de la Création. Le travail, la science et la technique sont nécessaires à l’ascension de l’homme dans la direction grandissante d’une unité et d’une spiritualisation de l’Univers. Pour le chrétien, une dimension spécifique s’y ajoute : le Christ, – origine et terme de toute la Création, Alpha et Omega, – tout trouve en Lui son achèvement et son couronnement.  In eo omnia constant dit St Paul, en Lui tout subsiste et se tient. Il est la Voie, la Vérité, la Vie. Le chrétien trouvera ainsi un nouvel encouragement à œuvrer pour le progrès du Monde. Il s’agit pour nous de Construire, de Partager et de Respecter la Planète Terre avec des connaissances et une conscience élargies en cosmogenèse. Aussi la vigilance s’impose car des obstacles de toutes sortes s’interposent sans cesse. Et voilà pourquoi l’écologie – S. François a été proclamé « le céleste patron des écologistes » par Jean Paul II en 1976, – doit être considérée comme une forme d’humanisation et de spiritualisation de la Terre et non comme une forme de combat militant et agressif. L’écologie comprise comme une harmonisation de la croissance de la Terre en intelligence fructueuse et respectueuse de la nature comme composante de l’Univers, et pas seulement comme une expression politique ayant pour tâche l’empêchement de la dévastation prédatrice de la Terre par la cupidité des hommes. « La crise écologique est devenue un appel à une profonde conversion intérieure » dit le pape François qui pousse cette réflexion très loin. « Pour proposer une relation saine avec la création comme dimension de la conversion intégrale de la personne, souvenons-nous du modèle de Saint François d’Assise.  dit le pape François. … Nous devons faire l’expérience d’une conversion, d’un changement de cœur. … Cette conversion suppose diverses attitudes qui se conjuguent pour promouvoir une protection généreuse et pleine de tendresse. En premier lieu, elle implique gratitude et gratuité, c’est à dire une reconnaissance du monde comme don reçu de l’amour du Père, ce qui a pour conséquence des attitudes gratuites de renoncement et des attitudes généreuses même si personne ne les voit ou ne les reconnaît. Cette conversion implique la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle. Pour le croyant, le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres. »[4]

L’orgueil, la prévalence du Moi, sous toutes ses formes, sont profondément enracinés dans la nature humaine. On ne s’en libère pas tout seul. La conversion du cœur est consécutive à « une expérience première » qui peut prendre diverses formes (imminence de la mort, maladie, mort d’un proche, etc..). C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Une grâce est indispensable pour la mener à son terme. On peut dire que c’est la preuve d’un Dieu trinitaire :. Cette « évolution » se fait aussi dans le cœur et dans l’esprit humain. Il faut avoir subi bien des épreuves pour se convertir – on devrait dire pour être converti – . Alors, on demande, on prie pour obtenir ce que l’on n’a pas tout seul mais par la grâce de Dieu. Or demander c’est faire preuve d’humilité…

Celui qui approfondit jusqu’au bout le sens de l’écologie apercevra vite combien elle peut être fructueuse pour une rencontre renouvelée entre le christianisme et le monde moderne. Teilhard ne demandait rien d’autre que d’intégrer dans la théologie chrétienne sa vision du monde aux dimensions prodigieusement agrandies par les progrès de la science et la confiance de la foi. Il rendait ainsi aux chrétiens, la fierté d’être les témoins ardents du Christ ressuscité.

Teilhard et François d’Assise sont d’autant plus d’actualité, en ces temps de crise planétaire, que l’idée que l’on se fait de la vie tend de plus en plus vers un matérialisme d’abondance et de jouissance immédiate, – l’avoir plutôt que l’être, la possession égoïste plutôt que le partage, l’amusement plutôt que la communion des êtres dans l’amour du beau et du vrai. Nous sommes appelés à nous libérer du vieil homme qui va se corrompant au fil de ses convoitises. St François et Teilhard nous invitent à revêtir l’homme nouveau selon Dieu, en changeant notre regard. Exerçons notre regard à voir ce « beau » et ce « bon » dont Dieu semblait s’émerveiller au commencement de la Genèse et dont les êtres humains portent la trace dans leur cœur, souvent à leur insu. Le Pape François, dans son encyclique nous invite à cette même démarche : à travers l’espace et le temps, ils nous disent tous que nous sommes appelés à nous libérer du vieil homme qui va se corrompant au fil de ses convoitises. L’apport franciscain et teilhardien, exceptionnels dans cette encyclique, consistant à voir la liberté et la conscience en germe, dès le départ de l’histoire de l’humanité, doit être présenté aux sceptiques modernes, à ces gens qui, enfoncés dans un hédonisme inconscient, n’ont pas de valeurs spirituelles qui les élèvent et les portent à l’amour de l’humanité et du monde. Construire la Terre dans l’Amour et la Paix, comme nous y invite l’encyclique, paraît aujourd’hui comme la tâche la plus urgente qu’une humanité en crise doit se fixer, si elle veut tout simplement continuer à vivre sur notre belle Planète bleue.

François Cheng est venu de loin pour confirmer cela et il l’a fait avec l’éclat et la discrétion qui le caractérisent de différentes manières, orales et écrites, toujours poétiques, originales et mystiques à la fois. Reportons-nous à ses toutes dernières publications, toutes celles qui ont suivi son entrée à l’Académie Française, depuis les Cinq Méditations sur la Beauté (2006) jusqu’au Cinq Méditations sur la Mort autrement dit sur la Vie, (2013) en passant par le portrait d’une âme à l’encre de Chine : Et le souffle devient signe, (2010); sans oublier ses romans, ses poèmes et son magnifique Pélerinage au Louvre après ses extraordinaires livres d’introduction à l’Art chinois. Pour terminer par le discret ASSISE qui s’achève sur le Cantique des créatures de François d’Assise avec lequel je vais essayer de vous mettre en résonnance, comme il aime à dire. Pourquoi son nouveau prénom s’imposa-t-il à François Cheng lors de sa naturalisation française, en 1972 ? L’académicien répond dans cet opuscule dense et limpide : depuis son premier voyage sur les traces de François d’Assise, dans les années 1960, il est habité par ce saint du Moyen Age, qui délaissa soudain les plaisirs frivoles et les rêves de puissance pour obéir à l’injonction de Dieu tombée dans ses oreilles un jour de désœuvrement : « relever l’Eglise ». En arpentant à son tour les terres foulées par saint François, qu’il préfère appeler le « Grand Vivant », l’exilé chinois comprit que la terre d’accueil la plus riche se trouve à l’intérieur de soi. La beauté de ce petit livre vient de la flânerie mentale qu’effectue l’auteur entre ses propres émotions de déraciné fleurissant dans un ailleurs universel et quelques épisodes marquants de la vie de François d’Assise, décidé à embrasser la vie dans sa totalité, qu’il s’agisse de goûter une crème à la frangipane ou de baiser la chair putride d’un lépreux. D’une pudeur et d’une humilité sans limites, François Cheng écoute grandir en lui le legs du saint d’Ombrie, dont il partage le goût pour le dénuement et la volonté de capter tous les signes invisibles à disposition des hommes. Comme le chemin tortueux qui mène à Assise, dont chaque virage offre un point de vue différent sur la vallée, le récit dépouillé de François Cheng creuse un sillon profond et ondulant, dont chaque méandre est un havre de méditation.

Pour terminer cette méditation je vous invite à dire cette belle Prière chrétienne du pape François, qui résume et redit en termes modernes nos aspirations cosmogéniques profondes :

Nous te louons, Père, avec toutes tes créatures, qui sont sorties de ta main puissante. Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence comme de ta tendresse. Loué sois-tu.

Fils de Dieu, Jésus, toutes choses ont été créées par toi. Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie, tu as fait partie de cette terre, et tu as regardé ce monde avec des yeux humains. Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature avec ta gloire de ressuscité. Loué sois-tu.

Esprit Saint, qui par ta lumière orientes ce monde vers l’amour du Père et accompagnes le gémissement de la création, tu vis aussi dans nos cœurs pour nous inciter au bien. Loué sois-tu.

Ô Dieu, Un et Trine, communauté sublime d’amour infini, apprends-nous à te contempler dans la beauté de l’univers, où tout nous parle de toi. Éveille notre louange et notre gratitude pour chaque être que tu as créé. Donne-nous la grâce de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.

Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre, parce qu’aucun n’est oublié de toi.

Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence, aiment le bien commun, promeuvent les faibles, et prennent soin de ce monde que nous habitons. Les pauvres et la terre implorent :

Seigneur, saisis-nous par ta puissance et ta lumière pour protéger toute vie, pour préparer un avenir meilleur, pour que vienne ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté. Loué sois-tu. Amen.

Remo VESCIA

Commissaire de l’Exposition

Président honoraire du Centre Européen Teilhard

vesciaremo@gmail.com

www.teilhard-international.com

LA VIDEO de l’EXPOSITION

[1] Rappelons cette réflexion de Teilhard : “ A travers les civilisations qui se déplacent, le monde ne va pas au hasard ni ne patine, mais, sous l’universelle agitation des êtres, quelque chose se fait, quelque chose de céleste sans doute, mais de temporel d’abord. Rien n’est perdu dès ici-bas pour l’homme, de la peine de l’homme…. Le sillage laissé derrière elle par l’humanité en marche nous révèle-t-il moins bien son mouvement que l’écume jaillie ailleurs sous l’étrave des peuples ? ”

Et celles-ci d’Einstein, son contemporain « Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito »…. « Ce qui est incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible »…. « L’idée que l’ordre et la précision de l’univers, dans ses aspects innombrables, serait le résultat d’un hasard aveugle, est aussi peu crédible que si, après l’explosion d’une imprimerie, tous les caractères retombaient par terre dans l’ordre d’un dictionnaire »….  

[2] Benoît XVI : « À Pâques, nous nous réjouissons parce que le Christ n’est pas resté dans le tombeau, son corps n’a pas connu la corruption; il appartient au monde des vivants, non à celui des morts; nous nous réjouissons par ce qu’Il est – ainsi que nous le proclamons dans le rite du cierge pascal – l’Alpha et en même temps l’Oméga… Précisément, la résurrection du Christ est bien plus, il s’agit d’une réalité différente. Elle est – si nous pouvons pour une fois utiliser le langage de la théorie de l’évolution – la plus grande «mutation», le saut absolument le plus décisif dans une dimension totalement nouvelle qui soit jamais advenue dans la longue histoire de la vie et de ses développements: un saut d’un ordre complètement nouveau, qui nous concerne et qui concerne toute l’histoire ». Homélie pascale 2006

[3]Aussi Teilhard peut écrire : « La création est un grand livre ouvert à la recherche et à la contemplation des hommes. Nous avons soif de voir et de connaître… Dieu est pour nous l’éternelle découverte et l’éternelle recherche… Nous marchons conscients d’avoir le monde à diviniser ». Pour qu’on prenne conscience du merveilleux don qui nous est fait, pas seulement celui, – magnifique, – de la vie et de la dignité de notre condition, mais surtout de l’invitation qui nous est faite de nous élever en Esprit, dans l’émerveillement de la Beauté Divine.

[4] Encyclique “Loué sois-tu” : 82. Mais il serait aussi erroné de penser que les autres êtres vivants doivent être considérés comme de purs objets, soumis à la domination humaine arbitraire. Quand on propose une vision de la nature uniquement comme objet de profit et d’intérêt, cela a aussi de sérieuses conséquences sur la société. La vision qui consolide l’arbitraire du plus fort a favorisé d’immenses inégalités, injustices et violences pour la plus grande partie de l’humanité, parce que les ressources finissent par appartenir au premier qui arrive ou qui a plus de pouvoir : le gagnant emporte tout. L’idéal d’harmonie, de justice, de fraternité et de paix que propose Jésus est aux antipodes d’un pareil modèle, et il l’exprimait ainsi avec respect aux pouvoirs de son époque : « Les chefs des nations dominent sur elles en maîtres, et les grands leur font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous sera votre serviteur » (Mt 20, 25-26).

  1. L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ

 

Commençons par le texte fondateur de la vision qu’a Teilhard de la mort, dans Le Milieu Divin :

« S’unir, c’est, dans tous les cas, émigrer et mourir partiellement en ce qu’on aime. Mais si, comme nous en sommes persuadés, cette annihilation en l’Autre doit être d’autant plus complète que l’on s’attache à un plus grand que soi, quel ne doit pas être l’arrachement requis pour notre passage en Dieu ? (…)

En soi, la mort est une incurable faiblesse des êtres corporels, compliquée dans notre monde par l’influence d’une chute originelle. Elle est le type et le résumé de ces diminutions contre lesquelles il nous faut lutter sans pouvoir attendre du combat une victoire personnelle directe et immédiate.
Eh bien, le grand triomphe du Créateur et du Rédempteur, dans nos perspectives chrétiennes, c’est d’avoir transformé en facteur essentiel de vivification ce qui, en soi, est une puissance universelle d’amoindrissement et de disparition. Dieu doit, en quelque manière, afin de pénétrer définitivement en nous, nous creuser, nous évider, se faire une place. 

Il lui faut, pour nous assimiler en Lui, nous remanier, nous refondre, briser les molécules de notre être. La Mort est chargée de pratiquer, jusqu’au fond de nous-mêmes, l’ouverture désirée. Elle nous fera subir la dissociation attendue. Elle nous mettra dans l’état organiquement requis pour que fonde sur nous le Feu divin. Et ainsi son néfaste pouvoir de décomposer et de dissoudre se trouvera capté pour la plus sublime des opérations de la Vie. Ce qui, par nature, était vide, lacune, retour à la pluralité, peut devenir, dans chaque existence humaine, plénitude et unité en Dieu. 

Mon Dieu, il m’était doux, au milieu de l’effort, de sentir qu’en me développant moi-même, j’augmentais la prise que vous aviez sur moi ; il m’était doux encore, sous la poussée intérieure de la vie, ou parmi le jeu favorable des évènements, de m’abandonner à votre Providence. Faites qu’après avoir découvert la joie d’utiliser toute croissance pour vous faire ou pour vous laisser grandir en moi, j’accède sans trouble à cette dernière phase de la communion au cours de laquelle je vous possèderai en diminuant en Vous. Après vous avoir aperçu comme Celui qui est « un plus moi-même », faites, mon heure étant venue, que je vous reconnaisse sous les espèces de chaque puissance, étrangère ou ennemie, qui semblera vouloir me détruire ou me supplanter. Lorsque sur mon corps (et, bien plus, sur mon esprit), commencera à marquer l’usure de l’âge ; quand fondra sur moi du dehors, ou naîtra en moi, du dedans, le mal qui amoindrit ou emporte ; à la minute douloureuse où je prendrai tout à coup conscience que je suis malade ou que je deviens vieux ; à ce moment dernier, surtout, où je sentirai que je m’échappe à moi-même, absolument passif aux mains des grandes forces inconnues qui m’ont formé ; à toutes ces heures sombres, donnez-moi, mon Dieu, de comprendre que c’est Vous (pourvu que ma foi soit assez grande) qui écartez douloureusement les fibres de mon être pour pénétrer jusqu’aux moelles de ma substance, pour m’emporter en Vous.

Oui, plus, au fond de ma chair, le mal est incrusté et incurable, plus ce peut être Vous que j’abrite, comme un principe aimant, actif, d’épuration et de détachement. Plus l’avenir s’ouvre devant moi comme une crevasse vertigineuse et un passage obscur, plus, si je m’y aventure sur votre parole, je puis avoir confiance de me perdre ou de m’abîmer en Vous, d’être assimilé par votre Corps, Jésus.

Ô Énergie de mon Seigneur, Force irrésistible et vivante, parce que, de nous deux, Vous êtes le plus fort infiniment, c’est à Vous que revient le rôle de me brûler dans l’union qui doit nous fondre ensemble. Donnez-moi donc quelque chose de plus précieux encore que la grâce pour laquelle vous prient tous vos fidèles. Ce n’est pas assez que je meure en communiant. Apprenez-moi à communier en mourant»[4].

ressuscité, axe de la maturation universelle. ( en note : L’apport de P. Teilhard de Chardin se situe dans cette perspective) Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures. La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur.

  1. Le message de chaque créature dans l’harmonie de toute la création
  2. Quand nous insistons pour dire que l’être humain est image de Dieu, cela ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est superflue. Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous.

Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu. L’histoire de l’amitié de chacun avec Dieu se déroule toujours dans un espace géographique qui se transforme en un signe éminemment personnel, et chacun de nous a en mémoire des lieux dont le souvenir lui fait beaucoup de bien. Celui qui a grandi dans les montagnes, ou qui, enfant, s’asseyait pour boire l’eau au ruisseau, ou qui jouait sur une place de son quartier, quand il retourne sur ces lieux se sent appelé à retrouver sa propre identité.

  1. Dieu a écrit un beau livre « dont les lettres sont représentées par la multitude des créatures présentes dans l’univers ».