La Terre est l’œuvre de Dieu par Eloi Leclerc

Eloi Leclerc (o.f.m.)

La Terre est l’œuvre de Dieu. De même, toutes les créatures sont liées entre elles par une sorte de consanguinité, qui vient de la paternité universelle de Dieu. D’où l’intimité de St.François avec les choses. Teilhard invoque Jésus caché dans les forces qui font grandir la Terre. C’est le même Christ que celui de S. François. Car l’humanité du Christ est issue de la nôtre, et la nôtre a été préparée par toute l’évolution cosmique pour que surgisse l’humanité. Le Christ existe dès le commencement dans le plan de Dieu. Dieu n’est pas un être solitaire mais une communion. Au cœur de Dieu, il y a la communication : l’avènement de l’homme-Dieu est déjà dans ce projet de Dieu de se communiquer de manière totale à ses créatures. L’homme-Jésus est la fleur de l’humanité car, en lui, Dieu se communique en plénitude. Jésus est la première créature voulue. Le chef-d’œuvre du Dieu créateur. Par lui, Dieu a voulu s’unir à l’humanité de manière étroite, profonde. La finalité de la création trouve tout son sens, sa destinée plénière, dans l’homme-Dieu. Saint Paul le dit : « Dès avant la création, nous avons été choisis pour devenir en Jésus-Christ des fils adoptifs. » Tout est orienté vers cela. Tout, y compris la Terre qui ne trouvera elle-même son apogée que dans cette perspective de divinisation. On ne peut donc séparer l’homme de la création. L’homme a les pieds sur terre. Il doit se nourrir, respirer. En cela il dépend de la mère terre. Mais au-delà de cette figure archaïque, pour François, la terre est une sœur qui partage avec nous le même destin. Ainsi l’homme doit-il assumer et accomplir le destin de la terre. « La création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement », dit encore saint Paul. Il est très difficile de prétendre à une réconciliation entre les hommes tant que l’on s’oppose à la création. Car l’homme, fragment du cosmos, est comme tel, dominé par des forces de vie (la libido, l’agressivité) qui demandent à être apprivoisées, sinon elles peuvent basculer en forces de mort. Tout dépend de l’orientation et de la manière dont elles sont assumées. Comme le dit Maurice Zundel : « Si l’homme a ses racines charnelles dans le cosmos, le cosmos, lui, a ses racines spirituelles dans le cœur de l’homme. C’est à l’homme de spiritualiser toutes ces forces. Là réside sa grandeur. Sinon, il vit au ras de la nature et reste mené par elle. D’où les atrocités, les crimes. Or le propre de l’homme n’est pas de refouler ces forces, mais de leur donner une orientation vers le Bien, vers l’Esprit, vers le Beau. C’est là, dans le cœur de l’homme, que le cosmos trouve ses racines spirituelles. La présence franciscaine au monde consiste à « convertir toute hostilité en tension fraternelle à l’intérieur d’une unité de création », selon la formule de Paul Ricœur. Des tensions, il y en aura toujours. Mais la tension est féconde. Elle est nécessaire pour avancer et pour créer. De la réconciliation intérieure de l’homme dépend l’avenir du cosmos. C’est ce qu’exprime le Cantique des Créatures où François, à la fin de sa vie, en livre le secret. Il découvre le sens lumineux de la création, mais à partir d’une expérience intérieure qui est celle d’une nouvelle naissance. C’est en devenant cet homme nouveau qu’il perçoit le sens de la création. Son cantique est la célébration d’un devenir intime : l’eau, le vent, le feu y symbolisent les forces obscures qui nous habitent. Or elles ont perdu tout caractère destructeur. François n’exprime donc pas seulement son amour des créatures mais aussi cette réconciliation avec ses forces intimes obscures. Sans elles, l’homme ne peut s’entendre avec les autres hommes. François d’Assise ou Teilhard étaient des hommes passionnés qui ont su capter toutes ces forces pour en faire des forces d’amour, d’unité. Si l’on ne travaille pas à cette orientation, ces forces peuvent être soit gaspillées, soit devenir même destructrices. Fraternité humaine et fraternité cosmique sont donc inséparables. Il ne suffit pas d’invoquer les droits de l’homme pour que l’homme en vienne à respecter son semblable et à le considérer comme un frère. Les grands spirituels nous montrent la voie du salut : l’homme doit dépasser l’homme. Il lui faut s’ouvrir à l’amour du Créateur pour son œuvre tout entière jusqu’aux plus humbles créatures. Et ce qui parle le mieux à nos contemporains c’est son regard. Un regard où se reflète précisément cet amour du Créateur. Un regard pur de toute volonté de possession et de domination. Un regard qui nous fait voir le monde dans sa gratuité. Un regard de pauvre qui fait de l’homme un témoin et un relais de l’Amour créateur.