La Vie engendre la Vie et il n’y aura pas de fin

Je dédie ce texte à mes nombreux amis teilhardiens avec lesquels j’ai été heureux de cheminer depuis plusieurs décennies, chemin que je suis heureux de poursuivre aussi longtemps que le ciel le voudra. Certains d’entre eux, hélas sont morts, surtout avec la pandémie qui nous accable, – le Père Henry Madelin en a été la première victime en avril 2020 – Yves Barthes et Georges Ordonnaud, les dernières, il y a peu. Je prie particulièrement pour eux en ce 10 avril 2021, anniversaire de la mort de Teilhard de Chardin.

En grande fraternité spirituelle en Jésus Christ. 

La Vie engendre la vie et il n’y aura pas de fin

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« Si tu savais le don de Dieu… » (Jean IV,9)

LA VIE ? UN CADEAU

Nous autres êtres humains doués de raison et de sentiments, n’avons pas encore bien compris, le merveilleux cadeau que nous fait la Vie. Lorsque nous venons au monde, nous disposons d’un corps sensible capable de sentir et de penser, avec des caractéristiques propres qui procurent du plaisir et des élans, des désirs et des émotions, des rêves et des rêveries. Des peines et des douleurs nous assaillent également, mais cela n’élimine pas complètement le bonheur d’être en vie et de tenir à la vie. Certes, nous savons que progresser en âge et en sagesse, en subvenant à nos besoins, récompensés de nos efforts par d’intimes signes d’allégresse, contribue, de différentes manières, au bonheur d’être en vie : jouir de l’existence et en être conscient, avancer, trouver du goût aux multiples satisfactions de tous ordres. Au-delà de nos besoins élémentaires, qui procurent de simples plaisirs : boire, manger, dormir, marcher, respirer, chanter, danser, rêver,.. nous pouvons nous émerveiller devant la beauté de la vie et de l’amour, ou la bonté de l’amitié, ou de l’incroyable intelligence de l’Univers et du génie des hommes pour progresser dans leurs conquêtes de l’espace et du temps.

Sans doute la vie ne va jamais sans difficultés : les obstacles, les souffrances de toutes sortes, la maladie, les accidents, les pandémies, la mort, entravent la possibilité d’en jouir indéfiniment. Aussi arrive-t-il que l’on perde, passagèrement, ce sentiment latent de bonheur de vivre et nous regrettons alors de ne pas l’éprouver plus souvent ou plus longtemps. Mais, malgré les fatigues et les peines, les souffrances et la mort, on peut savourer des moments de sa vie, se réjouir de sa beauté, chanter qu’elle vaut bien la peine d’être vécue, et être conscient du merveilleux cadeau que l’on reçoit chaque jour qui passe, invités que nous sommes, au festin du monde. Un monde que le génie des hommes a rendu, au cours des siècles, de plus en plus facile à habiter.

Dès notre enfance, nous comprenons que la vie se déploie sur deux plans, visibles et invisibles : sur le plan matériel et sur le plan spirituel, concret et abstrait. Notre esprit, – cette faculté de comprendre aisément – dont la manifestation la plus évidente, mais non la seule, est la parole, nous permet de nous exprimer dans une langue donnée, d’une manière personnelle, selon des circonstances et des motivations appropriées. Ce sont ces capacités d’épanouissement physique, spirituel et moral, offertes au petit d’homme, de connaître, de comprendre, de choisir, d’avancer dans la vie, qui nous permettent de grandir, de réfléchir, de se comporter en société et de s’épanouir, d’aimer, et d’être aimé, d’être heureux de vivre, c’est-à-dire de déployer notre être tout entier, physique et moral, dans l’espace et le temps, tout en sachant endurer d’éventuelles souffrances, même dans des conditions extrêmes. Exactement comme un arbre qui grandit et s’élève dans l’espace et dans le temps, le vent et la pluie, dans l’environnement qui est le sien, pour s’épanouir majestueusement en couronne sous le soleil.

Ces capacités d’évolution et d’adaptation, d’endurance, de bonheur et de souffrance, sont universelles : tout être vivant et plus particulièrement tout être humain, les éprouve dans sa vie. Il est tantôt heureux, tantôt malheureux, et lui seul peut, parmi tous les êtres vivants, les vivre à un tel degré d’intensité, d’émotion, d’intelligence et de persévérance qu’il finit par se poser des questions. La nature, autour de lui, la terre et la mer, l’air et les nuages, les plantes, les fleurs et les oiseaux, semblent avoir été faits pour l’accueillir et non pour l’asservir. Et, même les animaux, ses frères, selon saint François – qui souvent l’égalent ou le surpassent en acuité des sens (d’intelligence ou de violence), – ne connaissent pas le bonheur de la conscience réfléchie, la joie de connaître et de comprendre les tenants et les aboutissants d’une action, le bonheur de la fusion passionnelle de l’amour ou la satisfaction de la pensée poétique, le sens et la signification des êtres et des choses qui sont le propre de l’homme – et de la femme ! Les animaux ne peuvent réaliser comme nous, en pleine conscience, le bonheur de vivre, d’exister et de bâtir leur vie, en complet épanouissement de soi-même, bâtir leur vie comme une œuvre d’art complexe et accomplie. Les animaux ne savent pas se réaliser, se construire, grandir dans un but librement assumé comme nous, éprouver le bonheur d’exister en pleine intelligence avec le monde, s’accomplir en grande harmonie avec le cosmos. Être, tout simplement, personnellement. Car nos facultés spirituelles sont bien plus riches que celles des autres vivants, notre intelligence du monde nous situe à un niveau de conscience réfléchie : non seulement nous sentons et ressentons, mais nous savons et nous savons que nous savons. Nous pouvons donc mieux comprendre, évaluer, réfléchir, apprécier, rectifier et calculer, bref, progresser dans une voie qui n’est pas que physique et matérielle, mais surtout dans une voie morale et spirituelle. Une certaine distance et une prise de conscience nous confèrent la faculté d’être, avec le sens des responsabilités à l’égard du monde tout entier. Aucun autre être vivant ne possède à l’égal de nous autres humains, hommes et femmes, stratèges et tacticiens de notre quotidien et de notre devenir, cette capacité de dépassement volontaire.

C’est ce qui fonde notre responsabilité vis à vis de nous-mêmes et de la société. Cela nous confère notre dignité. C’est dans un acte d’amour que nos géniteurs nous ont fait ce merveilleux don de la vie. Cela est sûr, même si ce n’est pas toujours en pleine conscience: tout petit d’homme qui vient au monde est le résultat d’un acte d’amour entre deux êtres, qui lui transmettent ce qu’ils ont eux-mêmes reçu de l’échange dans l’amour de leurs propres parents. Ce bien précieux, la vie, avec la capacité de la donner à notre tour, nous en sommes tous bénéficiaires et dépositaires, transmetteurs, capables de la donner nous aussi, à notre tour, par un geste d’amour renouvelé, volontaire et assumé, hommes et femmes unis dans un acte d’amour. Ainsi la Vie et l’Amour paraissent, dès l’origine, indissolublement associés dans un puissant processus énergétique de perpétuation, de progression et d’évolution, qui les propulse dans une création renouvelée indéfiniment. Bénéficiaires de cette énergie, nous la portons à notre tour en nous, comme un héritage génétique puissant. Cela, universellement : tous les êtres humains en sont dotés. Leurs gestes d’amour perpétuent la vie. « La vie engendre la vie et il n’y aura pas de fin » dit François Cheng[1].

 

NOUS ? COOPERATEURS DE LA CREATION

Ainsi, en nous unissant, nous devenons coopérateurs de la Création Universelle. Nous pouvons mieux comprendre notre lien organique au monde et avec l’univers. Nous réalisons que, pour se perpétrer, l’énergie vitale passe par nous tous, sans exception, grâce à l’amour toujours renouvelé ! La vie transparaît alors avec une énergie dont nous sommes tous porteurs et dispensateurs, unis dans une même destinée. La vie, fruit de l’amour. L’amour, don de la vie. La vie, indissolublement associée à l’amour : pas de vie possible sans amour et, pas d’amour possible sans vie. Vie et Amour, une seule et même source d’énergie en marche, universellement. Les êtres vivants évoluent et contribuent à peupler le monde dans un même élan moteur, multiple et multiplicateur. La progression et l’évolution du monde se font en passant par nous, (même si c’est à l’insu de la plupart d’entre nous), grâce à nous, à cause de notre implication et de notre agrégation avec une énergie qui nous dépasse. Toute vie se déroule dans le temps et s’inscrit dans une histoire : l’Histoire des hommes et du monde, qui avance irréversiblement, impulsée par une extraordinaire énergie visible et invisible, composée de vie et d’amour tressés. Parfois cela se déroule même dans la violence diffuse ou apparente, – nous sommes souvent dépassés et contrecarrés dans nos projets, la vie pouvant engendrer des conflits et comporter des revers, la maladie, la souffrance et la mort – mais la vie continue toujours envers et contre tout, grâce à l’amour qui la fait avancer et rejaillir indéfectiblement.

Aussi, bon an mal an, depuis des millénaires, vivent et meurent des hommes et des femmes, sur la Terre, dans des pays, des continents, sur des îles lointaines, à différentes époques et dans des civilisations qui vivent et meurent, irrémissiblement. Une histoire commencée il y a plus de quatorze milliards d’années, au big-bang, formidable poussée d’énergie cosmique qui se transmue dans le monde à travers une immense diversité biologique en constant renouvellement. L’Histoire se perpétuant et se développant sans que paradoxalement l’on ne sache ni vers quoi, ni pour quoi on avance. D’où une foule de questions qui interpellent tout être humain doué de sensibilité et de raison, sur le comment et le pourquoi, sur le sens de la vie. Faute de ce goût de vivre, que nous éprouvons chevillé au corps, dès notre plus tendre enfance, la vie se serait déjà éteinte, et probablement, à jamais. La vie demeure gagnante et continue à se développer en avançant, de plus en plus complexe, en s’enrichissant de plus en plus d’une formidable énergie d’amour, d’intelligence et de connaissance, en progressant inexorablement et en engendrant ce que Teilhard a appelé la noosphère, ou sphère spirituelle, – par analogie avec la biosphère ou l’atmosphère, – conditions indispensables à la survie de notre espèce sur notre belle planète bleue. « La Noosphère est la nappe pensante du groupe zoologique humain au-dessus de la Biosphère. » dit Teilhard, dès 1925.

Nous savons maintenant, que nous appartenons à un système cosmique, le système solaire, – une galaxie parmi des milliards de galaxies qui tournent au-dessus de nos têtes, au-delà des étoiles. Nous habitons la ‘minuscule’ planète Terre où, – à la suite d’heureux concours d’improbables circonstances, – la poursuite de la vie a été possible, impulsée il y a quelques milliards d’années ; qu’il faut une biosphère à température tempérée et constante dans un milieu viable ou atmosphère (qui permet l’émergence de la vie grâce à la présence de l’air et de l’eau), conditions premières pour que la matière se mette en mouvement. L’oxygène, combustible indispensable à tous les êtres vivants est présent dans ces différents éléments de vie. La vie des hommes sur Terre, n’aurait commencé qu’il n’y a que quelques millions d’années, au bout de la longue chaîne de l’évolution du vivant. On peut dire que les humains l’assument désormais avec des sentiments de responsabilité collective, de plus en plus solidaires les uns des autres, depuis peu. Ils ont compris, tout récemment, qu’ils sont, que nous sommes tous ensemble, embarqués sur un seul et même vaisseau pour un temps relativement court. Solidaires et responsables, individuellement et collectivement, nous sommes tous embarqués sur un seul et même vaisseau, la planète Terre, formée depuis quatre milliards d’années pour voguer encore autant de temps, si possible. Et nous avons compris qu’il faut en prendre soin pour que le voyage puisse se poursuivre et surtout si nous ne voulons pas périr sous les effets de nos néfastes et inconscientes dilapidations.

Nous recevons donc, en venant au monde, un magnifique cadeau personnel. Un cadeau qui nous vient de loin, d’on ne sait où, de qui, pourquoi ? Un cadeau qui semble venu du ciel. Exaltant sentiment : hériter de quelque chose d’aussi incommensurable, et d’aussi mystérieux, d’aussi universel aussi sans en connaître ni l’auteur ni la motivation! Comprendre que l’on est réunis dans un projet qui semble nous être proposé personnellement par un être supérieur, antérieur à tout, le maître de l’Univers. Comprendre hélas, aussi, que la violence peut se réveiller soudain en nous et faire de nous un prédateur et un ennemi mortel. La mort peut nous couper de nos racines et la conscience nous interpeller dès nos premières réflexions. Nous découvrons ainsi combien nous sommes complexes, vulnérables et imprévisibles, et nous ressentons un besoin de protection tout en nous considérant inviolables dans notre personnalité profonde, dignes de respect et souvent même d’estime…

 

LE RELIGIEUX ? POUR NOUS AIDER A VIVRE

Ainsi sont nées, semble-t-il, dans les sociétés archaïques, ces pratiques d’exorcisation qui ont poussé nos ancêtres à chercher dans une direction métaphysique, pour résoudre le problème de la vie, dès l’origine, dans le religieux, des explications mystérieuses et à inventer des mythes. Les mythologies, les pratiques incantatoires et expiatoires de tous les temps, dans toutes les civilisations, sont nées ainsi, dès l’origine, un peu partout, pour chercher sens et apaisement à nos angoisses et à extirper nos violences. Selon les lieux et les époques, les religions se sont implantées un peu partout sur ces interrogations, ces inquiétudes, ces invocations à plus grand et plus fort que soi. Dans nos espoirs et nos implorations aussi, dans le sens du sacré, donc, ressenti depuis plus de 50.000 ans, comme en témoignent les nombreuses peintures rupestres préhistoriques retrouvées en Afrique, en France et ailleurs[2].

Notre époque moderne, qui se veut plus intelligente que toutes celles qui l’ont précédée grâce à l’esprit scientifique qui la caractérise, se prétendant désormais affranchie de ses fantasmes mythologiques, a essayé de remiser la religion au rang des mythologies caduques, sans distinction aucune. « La crise du religieux est bien une donnée fondamentale de notre temps, » déclare René Girard qui nous aide à voir plus clair dans les agissements humains. Car nous sommes « une espèce spirituelle » qui cherche un sens à sa vie, et des réponses à nos questions angoissées, fondées sur notre intellectualité et notre dignité même et ce sentiment d’inviolabilité personnelle qui nous habite. Et cela, même si l’on se prétend athée ou agnostique, postures religieuses en soi dans leur propre négativisme. Aussi la vie paraît toujours un mystère, un merveilleux mystère, un mystère que la Science essaye de déflorer de plus en plus. Un mystère auquel la Religion prétend donner sens. La Vie demeure un merveilleux présent d’un Être Supérieur. « Ah, que c’est beau, c’est beau la vie« , chante le poète, et il exprime ainsi, sans s’en douter, une vision religieuse du monde. C’est la mienne. Oui la Vie est belle, c’est beau la vie et encore plus, infiniment plus, depuis que le message christique qui nous en a donné le véritable sens en nous ouvrant à l’incroyable révélation qui fait de nous des enfants de Dieu. Non, le Créateur n’est pas un despote vindicatif et rageur mais un Père aimant qui nous protège et nous aide et nous accompagne dans l’extraordinaire aventure à laquelle nous sommes invités, sans pour autant, éprouver la plupart du temps, ni de la gratitude ni de la reconnaissance.

Ma perception du monde est celle d’un enfant né, il y a près d’un siècle en terre d’Egypte[3], au sein d’une famille italienne. A Alexandrie, port de la Méditerranée orientale, réveillée depuis peu de sa torpeur séculaire par des européens entreprenants. Une fade monarchie d’origine albanaise y régnait depuis quelques décennies, discrètement doublée d’une occupation administrative et militaire anglaise. La France, l’autre grande puissance hégémonique de l’époque, dominait le pays par sa culture – par l’esprit plutôt que par les armes, ce qui est mieux. J’en ai largement bénéficié. J’ai pu grandir heureux, dans les deux cultures, entouré d’un frère aîné et d’une sœur cadette, de nombreux camarades de différentes nationalités et religions, tous plus ou moins éclairés, sciemment ou inconsciemment, par les paroles écrites dans les livres en général et le Livre Saint en particulier. J’ai eu la chance de recevoir, à ma naissance, un dimanche des Rameaux, dans ma famille italienne catholique romaine, mon baptême avec mon prénom. Une saine éducation chez les pères franciscains, jusqu’à ma première communion, à l’église du Sacré Cœur d’Alexandrie, a façonné mon enfance italienne à Alexandrie, ville cosmopolite par excellence. Ensuite, elle s’est poursuivie au Caire où ma famille s’était réfugiée, à partir des années 1940, – la guerre faisant rage à nos portes -, chez les pères jésuites (francophones si ce n’est français), au Collège de la Sainte Famille, pendant mon adolescence. Celui-là même où trente-cinq ans plus tôt, Teilhard, avait enseigné la physique-chimie, de 19O5 à 1908. Un passage, pendant quelques années, par le scoutisme catholique où j’ai eu la grâce d’avoir le Père Maurice Zundel comme aumônier, m’a fortement marqué pour la vie. Le jour de mes vingt ans j’ai perdu la personne que j’aimais le plus au monde, ma mère, fauchée à l’âge de 47 ans, en un sinistre accident de voiture. Sainte et courageuse maman, excellente pianiste, elle avait amoureusement élevé ses trois enfants en des temps difficiles. Cela a contribué à la décision de quitter mon Egypte natale pour venir bâtir ma vie en France, – mon frère aîné avait choisi, un an auparavant, d’aller faire des études de médecine aux Etats-Unis où il était censé appeler notre famille. L’Italie dévastée par plus de 20 ans de fascisme et la guerre n’était plus envisageable. Je peux donc dire que, malgré les hostilités à nos portes, – les forces de Rommel se battaient au désert de Lybie, – j’ai eu la chance d’être élevé chrétiennement en pays musulman, dans un milieu cosmopolite et polyglotte, sans entraves majeures. En octobre 1949, j’ai préféré la France, pour entreprendre mes études supérieures en Sorbonne. Dès le mois de juillet 1952, j’y ai fondé avec Marthe , mon épouse, une famille vite nombreuse : 4 enfants en 6 ans ! Heureux désormais de vivre dans ce pays que j’aimais avant même de le connaître. La France, fille ainée de l’Eglise[4], où je mène depuis plus de 70 ans une vie active avec bonheur, grands-parents heureux de sept beaux petits-enfants sains de corps et d’esprit.

 

LA BIBLE ? socle des trois religions monothéistes

La Bible, donc – l’Ancien et le Nouveau Testament, – était la référence implicite ou explicite des différents modes de référencement du milieu, plus européen qu’égyptien, dans lequel j’ai grandi pendant les vingt premières années de ma vie en Egypte. Composée de récits mythiques, épiques ou historiques, – dont certains, importants, s’étaient déroulés en cette même terre d’Egypte où je vivais – de listes de lois ou de généalogies fastidieuses, mais de magnifiques poèmes aussi, de textes de sagesse, de prophéties, de paroles visionnaires, de prières, d’exhortations diverses. La Bible était pour tous, même les incroyants, le mât au pied duquel s’agrégeaient nos découvertes personnelles de l’Histoire. Enfants, on nous avait assuré que c’est Dieu lui-même qui parlait à travers ces textes issus de différentes traditions orales du peuple juif, et que Jésus – dont le Nouveau Testament relatait la vie et les enseignements, – était le Messie annoncé par les prophètes, depuis plus de quatre mille ans.

Jésus, né il y a deux mille ans dans une modeste famille juive, en Galilée, avait pendant quelques trente ans, poussé en âge et en sagesse et vécu très simplement au milieu de son peuple, en cette « Terre Sainte » de Palestine, occupée en ce temps-là, par les Romains. À l’âge de trente ans, il avait mené une vie errante et prêché d’une manière prophétique la Bonne Nouvelle s’identifiant lui-même à la Parole qu’il prodiguait avec ténacité en forme de paraboles surtout. Il disait superbement « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie ». Son enseignement était nouveau, iconoclaste parfois, et avait déplu à plus d’un de ses contemporains. Aussi avait-il été mal compris en son temps, accusé injustement, mal jugé, finalement condamné et mis à mort sur la Croix. Cela avait eu lieu sous Ponce Pilate, gouverneur romain de Judée, il y a plus de 2000 ans. Jésus avait été jugé, torturé, accusé et couronné d’épines, en signe de dérision pour ce « roi des juifs » tourné en ridicule. Il avait été crucifié dans des conditions ignobles, sous les yeux éplorés de sa mère et de très peu d’amis restés fidèles. Ainsi il m’apparaissait que l’histoire la plus belle du monde – un enfant né dans une crèche entre un âne et un bœuf, signalée par l’étoile des bergers à des rois mages – devenait l’histoire la plus triste du monde, celle d’un innocent trahi et renié par ses amis, accusé injustement et mis à mort ignominieusement. Sa mère se tenait au pied de la Croix où agonisait dans d’atroces souffrances le plus innocent des hommes qui implorant son Père du Ciel : Abba, pourquoi m’as-tu abandonné… Mais, trois jours après sa mise au tombeau, Jésus, était ressuscité des morts, et avait apparu aux saintes femmes d’abord et, à plusieurs reprises, à ses disciples incrédules ensuite. … Cela s’était passé à Jérusalem, ville sainte pour les trois religions que le Livre Saint, croyais-je, réunissait désormais en une même foi monothéiste. Réunissait vraiment ? Pas si sûr !

Incroyable histoire, douloureuse même, qui suscitait surtout en moi de la commisération. Aussi, sans m’en douter, étais-je plus proche d’une croyance mythologique que de la véritable adhésion mystique à un événement extraordinaire qui devait changer le monde. Encore moins d’une communion à la personne mystérieuse de l’Homme-Dieu, Lumière du monde, auquel j’adhérerai(s) par ma foi mieux comprise, plus tard, bien plus tard. On m’avait enseigné que Jésus était vrai Homme et vrai Dieu, qu’il avait bel et bien vécu comme nous, avec nos bonheurs, nos sensations, nos soucis et nos peines, qu’Il était sans péché, avait fait des miracles et pardonné à des pécheurs mais surtout qu’Il était ressuscité, qu’il avait vaincu la mort, et qu’Il siégeait à la droite du Père en attendant de juger les vivants et les morts… Je ne trouvais vraiment pas logique cette histoire singulière. Comment peut-on admettre, me disais-je, que Dieu lui-même se soit fait homme, à un moment propice de l’histoire, qu’il ait pris un corps d’homme comme nous, créatures limitées et fragiles, et qu’il se soit laissé piéger aussi misérablement devant les siens, sans aucune défense, pratiquement, victime offerte auto-désignée. Malmené, insulté, mis à mort, avec comme seule réaction une ultime prière à son Père pour demander le pardon de ses bourreaux ! Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font !

Pour me confirmer dans mes doutes je me drapais de mes nouvelles certitudes et vérités « scientifiques ». N’avaient-elles pas démontré, que l’on pouvait se passer de « l’hypothèse de l’existence de Dieu » ? La religion n’était que « opium du peuple », Dieu était mort et maintenant, l’on pouvait affirmer, en toute quiétude, avec un grand savant[5], que l’évolution du monde n’était que l’effet du Hasard et la nécessité …

 

LA FOI ? UN PRÉSENT DIVIN

Plus tard, bien plus tard, grâce à la lecture de quelques bons auteurs dans mes deux cultures, – l’italienne de mon enfance, avec Dante et François d’Assise, principalement, – puis, à l’adolescence, la française, avec Victor Hugo, Péguy, Claudel, Mauriac, Georges Duhamel, Bernanos, Camus, Saint-Exupéry, Malraux et quelques autres … grâce également à des amis éclairés, de beaucoup de réflexion, de méditation personnelle et d’échanges amicaux, j’ai compris, – il n’est jamais trop tard ! – que le Livre des Saintes Ecritures, la Bible, devait être regardée essentiellement comme une anthropologie car c’est surtout  des hommes qu’elle traite et non seulement de Dieu. Des hommes et des femmes du peuple juif, leurs tribulations, leurs angoisses, leurs conflits et leur incessante recherche de la Vérité. Il m’a fallu lire et relire les Evangiles, revenir à l’immense poème de Dante, La Divine Comédie, et au merveilleux Poverello d’Assise, à Pascal et René Girard et surtout le grand Teilhard de Chardin, et quelques autres sommités, pour me persuader vraiment et comprendre combien le véritable sujet d’importance est l’Homme, – l’espèce qui embrasse la femme! -, dans toute sa dignité et sa capacité d’intellectualisation et de conscience qui l’élève, grâce à son Esprit, au-dessus de toute la Nature vivante. Comment l’homme doit apprendre à évoluer de la barbarie dégradante et avilissante à une humanisation progressive et éclairante. Au bout de ce long chemin laborieux de ma vie, chargé de famille nombreuse, me revenaient en mémoire les sermons enflammés du Père Maurice Zundel. Jeune scout, je n’avais pas vraiment compris toute l’éclatante profondeur du Dieu d’Amour qu’il prêchait d’une voix émouvante.

Quel émerveillement de retrouver ses livres devenus célèbres désormais : le magnifique « Évangile intérieur », le splendide « Poème de la Sainte Liturgie »… Et de mieux comprendre pourquoi la célébration de la Messe, plus qu’une occasion de rencontre communautaire, est un rappel sacramentel du dernier Repas du Christ pour rendre grâces à l’Eternel dans la Prière et consacrer la Sainte Eucharistie, célébration du Christ Ressuscité –Il est grand le mystère de la Foi ! – Les évocations de Zundel, la magnifique rencontre avec la Samaritaine au puits, me revenaient en mémoire. Il lui dit, à propos de la soif à étancher : « Si tu savais le don de Dieu… Dieu est une source qui jaillit au plus intime de nous en vie éternelle, Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité » et, en même temps, que l’homme est esprit, et que l’homme est appelé à s’élever en esprit et qu’il est, par conséquent de nature divine. L’homme a une vocation de ‘Dieu’ disait Zundel et « Dieu vient à nous silencieusement, Dieu vient à nous au plus intime de notre cœur ». Le Lavement des pieds du Jeudi saint, nous disait-il, est un acte d’amour d’une modestie exemplaire. Il en parlait avec une intense émotion, de même que du dialogue de Jésus sur la Croix avec le bon larron pour l’accueillir au Paradis…

J’ai mieux compris les mots incandescents que Zundel prononçait toujours dans un grand élan mystique : « L’Évangile de Jésus transparaît comme une grande confidence du Christ où Dieu est Dieu parce qu’il a la transparence d’une enfance où toute espèce d’appropriation est impossible, où le regard est toujours un regard vers l’Autre ; où la personnalité, où le ‘moi’ n’est qu’un pur et infini altruisme ».

 

LE CHRIST ? LE VERBE FAIT CHAIR

Ce Christ, serviteur et souffrant comme nous, qui s’offrait dans sa Passion et qui ressuscitait pour nous inviter à Le suivre sur la Voie de l’Amour et de la Sainteté, ce Christ Éternel dont je comprenais enfin pourquoi il était nécessaire qu’Il prît Corps, qu’Il se présente comme Fils de l’Homme, l’un d’entre nous, pour mieux se faire comprendre de nous dans notre langage. J’ai appris à Le regarder différemment, intérieurement, non seulement avec ma raison et mon cœur, mais en mon âme, en esprit, en conscience, en communion. Le Dieu Tout-Puissant et dominateur de mon catéchisme enfantin a laissé la place à un Dieu en continuelle quête de l’amour de chacun de nous, un Dieu d’Amour ! La poésie m’a ouvert des portes que les discours philosophiques n’avaient pas réussi à franchir. « La véritable importance de la poésie du point de vue général (…) est vitale, elle a toujours été vitale. Je crois qu’elle est à la base de l’élévation de l’homme et de toute son évolution. Le sens poétique, inné chez l’homme, a même certainement  été à la source de toutes les religions » dit Teilhard dans une lettre à sa cousine.  À la suite de deuils d’êtres chers, proches et intimes, j’ai aussi mieux compris l’extraordinaire « don de Dieu » : l’Incarnation du Verbe de Dieu, « le Verbe fait chair » comme étant l’expression humaine de son Amour pour nous et ainsi donner sens à nos souffrances et à la mort, nous inviter à l’adoration de Dieu, l’Être Suprême.

La lecture approfondie de Teilhard m’a convaincu que le Christ est à l’origine et au sommet de l’Évolution. IL est L’Alpha et l’Oméga, comme dit St. Jean – le Christ Cosmique, qui m’a ouvert l’esprit et l’âme, venait dissiper mes doutes et conforter mes nouvelles certitudes. J’ai compris avec Teilhard que la Solution générale pour atteindre le Bonheur de croissance passe par les trois temps de la personnalisation : se centrer d’abord, se décentrer ensuite et se sur-centrer enfin  dans la direction d’un Humanisme chrétien, ou, … dans celle d’un Christianisme super-humain, au sein duquel chaque homme comprendra un jour qu’il lui est possible, à tout moment et en toute situation, non seulement de servir (ce qui n’est pas assez) mais de chérir en toutes choses (les plus douces et les plus belles, comme les plus austères et les plus banales) un Univers chargé d’amour dans son Evolution.. Arrivé à l’âge de la retraite, je me suis totalement investi dans la diffusion de la pensée éclairante de Teilhard, ce grand prophète de l’espérance, en m’agrégeant à la Fondation et à l’Association des Amis de Teilhard. Je m’y suis fait de nombreux amis avec lesquels j’ai été heureux d’organiser des colloques, des conférences, des séminaires, des publications, des visites sur ses pas. Un dialogue enrichissant se poursuit, depuis plus d’un quart de siècle, illuminé de quelques belles rencontres.

Aussi, pour moi, aujourd’hui, le Christ, en prenant corps de la Vierge Marie, en affirmant que Dieu est Amour, en nous invitant à nous aimer les uns les autres, est venu, par sa personne et sa vie même, donner cette merveilleuse assignation à l’aventure humaine. Ses paroles de vérité et d’amour ont transformé ma vie. « Elles guérissent les blessures les plus profondes, libèrent des cercles infernaux de l’insatisfaction, de la rage et des lamentations » nous dit le pape François. C’est l’évangile de saint Jean qui m’a permis de mieux comprendre cette ouverture de l’âme et de l’esprit, en proclamant, dès l’entrée : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu… Et le Verbe s’est fait chair » : Le Christ est le Verbe de Dieu, l’envoyé de Dieu pour signifier aux hommes leur dignité de fils de Dieu. Il est le prototype – par sa Résurrection et son Ascension – d’une humanité qui retrouve à Sa suite, sa dignité première de Fils de Dieu : le Christ est venu du Père et Il est retourné au Père, Son émanation du Père est son Incarnation. Aussi, ai-je finalement compris qu’en vérité, le véritable cadeau qu’Il nous a fait c’est sa Personne lumineuse en nous, en nos cœurs. Sa Présence en nous est déjà, par elle-même la Réalisation du Royaume ! « Le Christ s’est uni à la créature d’une manière nouvelle, ou plutôt il l’a unie d’une manière nouvelle à Soi… Bien qu’il soit Dieu et homme, Il n’est pas un être double, mais un seul Christ : un, cependant, non par le changement de la divinité en chair, mais par l’assomption de la divinité en Dieu » dit Saint Athanase, un Père de l’Eglise.

Le retour du Christ au Père, son Ascension, n’est autre que l’invitation à nous humaniser et à nous spiritualiser pour devenir comme Lui. Nous voilà désormais investis par Lui pour diviniser le monde. Les deux notions – Incarnation du Verbe et Plénitude de l’homme en Dieu – sont étroitement solidaires, dans la marche de l’humanité vers la Lumière. Teilhard nous appelle à « une montée vers le point Omega » ! Pour qu’on soit éclairé, pour que l’on prenne conscience du merveilleux don qui nous est fait, pas seulement celui de la vie, mais celui de l’intelligence de son sens et donc de la noblesse de nos origines et de l’appel vers nos destinées. Nous sommes invités à nous élever en Esprit, dans l’émerveillement de la Beauté Divine entraperçue à travers la beauté du monde.  Teilhard peut écrire tout simplement : « La création est un grand livre ouvert à la recherche et à la contemplation des hommes. Nous avons soif de voir et de connaître… Dieu est pour nous l’éternelle découverte et l’éternelle recherche… Nous marchons conscients d’avoir le monde à diviniser”. Ainsi apparaît le Mystère de l’Incarnation : suprême élévation du côté de l’humanité, dans une suprême démission de soi, dit Zundel. Cela signifie, en termes de vie spirituelle, que le Rédempteur réalise, en Sa Personne, la plénitude du Règne de Dieu à faire vivre en nous !

1) P. Teilhard de Chardin : Les Directions de l’Avenir, XI, p. 129-140

 

LA CONNAISSANCE ? INDISPENSABLE POUR PROGRESSER

La Création peut donc être considérée comme un livre ouvert à la recherche et à la contemplation des hommes. Encore faut-il savoir le déchiffrer, et les privilégiés ici ne sont pas seulement les chercheurs lettrés, les savants et les philosophes, mais les poètes et les saints qui savent, comme les enfants, que Dieu est l’éternelle découverte et l’éternelle recherche. Les poètes, parce que leur don propre est la divination du spirituel dans le sensible et qu’ils savent intégrer le mystérieux. Les saints parce qu‘ils regardent avec des yeux purs les œuvres du Père et qu’ils s’émerveillent de voir en sa Beauté, l’amour et la puissance du Seigneur. Sur deux plans différents, le poète et le saint, travaillent, peut-on dire, fraternellement, conscients d’avoir le monde à diviniser. C’est pourquoi, le plus souvent le saint est poète : son expression est mystique, voire poétique. Encore faut-il que ceux auxquels ils s’adressent adoptent l’attitude fondamentale d’êtres sensibles et raisonnables avec la soif de voir et de connaître : s’émerveiller, savoir voir, s’informer, sentir et ressentir, comprendre, prendre conscience, « voir le Tout », et ceci sans restrictions dogmatiques, idéologiques ou philosophiques. Il faut cette soif inextinguible d’unité et d’harmonie qui guide tout homme à l’écoute du Seigneur Dieu qui est lui, son Esprit, le meilleur en lui. Nous avons en nous l’exigence de la durée pour entreprendre nos travaux.

« Bénie soit la philosophie qui nous montre la cohésion des choses comme destinée à s’achever dans l’avenir » ( Teilhard, Œ. C. XII, p.216). Telle est l’attitude de Teilhard de Chardin, mais aussi bien celle du poète franco-chinois François Cheng[6], et de quelques autres esprits éclairés, dans leurs écrits comme dans leurs vies. « La joie est une conquête de l’esprit; elle permet à l’âme de livrer son chant. dit François Cheng. Pour être authentique, durable, indéfiniment transmuable dans le temps en une élévation proprement spirituelle, il faut qu’elle soit expression de la vie ouverte. Oui, la vie ouverte, voilà le critère simple, mais indispensable, pour mesurer la valeur de la joie.  » Maurice Zundel avait dit « Ce qui frappe tout d’abord, c’est que la vie n’acquiert de valeur qu’en se dépassant. Stagnation signifie descente, décadence et mort. La vie doit monter. Tout son intérêt est dans l’au-delà qu’elle poursuit dans l’ordre de la science, de l’art, de la vertu et de l’Amour… Cet au-delà se manifeste comme pôle d’attraction, comme pôle insaisissable à mesure qu’on s’en approche davantage, d’autant plus invisible par la fulgurance de son éclat qu’il est plus intimement enveloppant par la douceur de sa chaleur, toujours suprême, toujours sans mélange avec nous; toujours pur quand nous sommes impurs, transcendant quand nous sommes dans les ténèbres, et infini par rapport à nos limites« .

Comment douter dès lors, de la grandeur de l’appel à divinisation de l’homme ? La Résurrection du Verbe Incarné est célébrée dans la chrétienté à Pâque, depuis 2.000 ans, pour nous rappeler cela. Pour le comprendre peut-être faut-il retrouver notre âme d’enfant. Alors cette divinisation paraît encore plus merveilleuse. Car s’il est permis de dire, avec saint Jean, « le Verbe s’est fait chair« , ce ne l’est pas moins de dire « La chair se fait Verbe », car nous sommes appelés à devenir Verbe : à nous élever en Esprit, à nous spiritualiser, et à diviniser le monde. N’est-ce pas cela que le Christ a exprimé à la Samaritaine, dans la grâce de cette rencontre merveilleuse? « Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : « Donne-moi à boire », c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jean, IV, 9). Aussi, ai-je mieux compris pourquoi le Christ a pris corps d’homme pour nous signifier cela avec nos mots à nous, avec notre langage à nous, nous qui ne sommes préoccupés que par l’immédiat et notre confort matériel. Jésus s’est manifesté pour nous dire « que quiconque boit de cette eau vive n’aura plus jamais soif, car l’eau que je lui donnerai jaillira en lui en vie éternelle ». Il nous dit ainsi qu’il faut apprendre à donner un sens à sa vie, en union avec tout le genre humain. On comprend mieux ainsi que notre solidarité des uns envers les autres ne peut être que totale. Car Il est Ressuscité, pour nous tous, ses frères, Lui le Christ Rédempteur qui nous attire à Lui par la grâce du Saint Esprit, dans l’Amour du Père.

   À quoi servirait ce magnifique cadeau qu’est la vie, s’il se terminait tristement au tombeau sans qu’on en comprenne le véritable sens ? Le Christ est venu nous révéler « le don de Dieu ». Il nous faut comprendre que le cadeau que nous reçu en venant au monde est encore plus extraordinaire qu’initialement perçu, que c’est un cadeau royal, un merveilleux cadeau ! Certes, nous savons dès les premières joies de l’enfance, que ce goût de vivre est grand, mais pour le chrétien riche de sa foi en Dieu doublée d’espérance,[7] la grâce suprême que lui donne la foi, confère un Bonheur que l’on peut qualifier de divin. Pour recevoir pleinement le don de la foi encore faut-il être en état de conscience, c’est à dire, savoir écouter son âme et pas seulement sa raison. La première condition est d’accepter ce don en toute modestie et confiance, sans autosuffisance encombrante. Il ne faut pas croire que l’on est capable de tout comprendre tout seul, avec sa raison raisonnante, cela est prétentieux et illusoire. Nous avons besoin de maîtres spirituels, nous avons besoin les uns des autres, en toute modestie.

Convaincus de ces vérités premières, quelques amis teilhardiens et moi, avons organisé en 2010, l’Exposition Ensemble, construisons la Terre qui circule en France et en Europe, depuis plus de dix ans. Elle réunit trois maîtres spirituels majeurs : François d’Assise, Teilhard de Chardin et François Cheng. Son livret, traduit en 4 langues, voyage de par le monde, elle a fait escale dans plus de vingt lieux, comme l’atteste le livre d’or.[8] Le pape François – auquel le catalogue de l’Exposition avait été remis dès 2014, ainsi que le livret et la vidéo en 2020, – a invité le monde entier avec l’encyclique LAUDATO SI’ à renouveler notre engagement à aimer notre « maison commune », à prendre soin de celle-ci et des membres les plus vulnérables de notre famille humaine. Avec son concept « d’écologie intégrale » le Saint Père nous rappelle que tout est lié, que l’Univers est un et qu’il nous faut l’aimer, le protéger et le respecter. Teilhard en grand poète avait dit : « Il y a vraiment une note musicale, chrétienne, qui fait vibrer le Monde entier, comme un gong immense, dans le Christ divin. Cette note est unique et universelle : et en elle seule consiste l’Evangile.  » [9]

Remo VESCIA

Commissaire de l’Exposition « Ensemble, construisons la Terre »

Président émérite du Centre Européen Teilhard

Pâques 2021

[1] François Cheng : Cinq Méditations sur la Mort, autrement dit sur la Vie, Albin Michel, 2013

[2] Emmanuel Anati :  » Depuis ses débuts, il y a plus de 40.000 ans, L’Homo sapiens a développé un ensemble de capacités intellectuelles très particulières: création de l’art visuel, développement d’un langage articulé et structuration d’une religion avec des archétypes et des paradigmes qui se répètent depuis, dans toutes les religions… la dynamique de la pensée religieuse suit une ligne cohérente qui, depuis l’origine, nous conduit à la réalité contemporaine ». La religion des origines, Bayard éditions

[3] L’Egypte était à cette époque un pays rural de 20 millions d’habitants où les paysans – les fellahs – n’ont pas beaucoup changé leurs habitudes millénaires : ils vivent toujours, pour la plupart, dans des maisons de terre cuite, continuent à utiliser les vieux outils qu’on voit dessinés du temps des Pharaons – en particulier le ‘chadouf’ cette machine très rudimentaire pour élever l’eau ou encore ce qu’on appelle dans d’autres pays la ‘noria’ et en Egypte la ‘sakyeh’.

Malgré tout, l’Egypte où je suis né est en bien meilleure santé économique qu’elle n’était 50 ans plus tôt, au début de l’occupation anglaise commencée en 1882. L’Egypte, qui était alors couverte de dettes, à cause de l’ouverture du Canal de Suez, en avait remboursé une grande partie : le Nil est mieux exploité grâce aux travaux hydrauliques des ingénieurs anglais et aux architectes italiens qui viennent de construire le premier barrage d’Assouan. Ce pays rural à 80%, est relativement riche, mais il n’est pas capable de subvenir à ses besoins alimentaires. Il importe du blé, de l’orge, des animaux, des légumes… et paie tout cela avec son « or blanc », le coton qui est de très belle qualité et s’exporte, surtout en Angleterre. Tous les agriculteurs veulent en produire, parce que c’est la denrée de loin la plus rentable. Sur dix habitants de la campagne, on compte un seul propriétaire. Autant dire que les inégalités sociales sont criantes. La situation du paysan, depuis l’occupation anglaise, s’est un peu améliorée, mais on venait de très très bas. La répartition des impôts est un peu plus équitable, même si le paysan est toujours accablé d’impôts. La religion pratiquée par la majorité de la population indigène est le culte musulman. Près de 10% est copte chrétienne, catholique ou protestante. Les coptes sont les descendants des anciens égyptiens, d’avant la conquête arabe et donc de l’introduction de l’Islam. Il y a aussi une foule de chrétiens orientaux, arméniens, grecs ou libanais maronites, d’origine moyen-orientale.

[4] Dominique Ponnau : L’histoire de la France est celle d’un pays chrétien. Le nom de « France » est indissociable du monde franc. Dans la dénomination ancienne du nord de la France actuelle, les Francs ont donné leur nom à la Gaule à partir du moment où les tribus germaniques ont adopté le christianisme, et plus particulièrement, pour l’une d’entre elles, la tradition catholique romaine, sous Clovis. La France devient la France au moment du baptême du roi, en 496. La civilisation antique nous est parvenue à travers le prisme chrétien et, si nous la connaissons bien, c’est en grande partie grâce au monde monastique qui, pendant le haut Moyen Âge, a maintenu vivante la tradition antique, laquelle aurait disparu sans cela. En admirant la splendeur dont l’Histoire nous a laissé d’innombrables signes, nous voyons que le monde chrétien n’est pas en rupture avec la civilisation antique, mais que notre mémoire spirituelle, historique et culturelle, en tant qu’elle se réfère à cette dernière, se réfère par le fait même au monde chrétien, puisque c’est à travers le monde chrétien qu’elle nous a été transmise. À la Renaissance aussi, qui est une très grande époque encore fondamentalement chrétienne, on a redécouvert de manière plus générale et approfondie l’Antiquité, mais on ne l’a pas séparée de ce qu’avait pu apporter le christianisme.

[5] Jacques Monod, (1910-1976) biologiste et biochimiste français  de l’Institut Pasteur, lauréat en 1965 du prix Nobel de médecine, auteur en 1970 d’un essai intitulé : Le Hasard et la nécessité.

[6] François Cheng : La beauté est toujours un advenir, un avènement, pour ne pas dire une épiphanie, et plus concrètement un ‘apparaître-là’.
– La beauté implique un entrecroisement, une interaction, une rencontre entre les éléments qui constituent une beauté, entre cette beauté présente et le regard qui la capte.
– De cette rencontre, si elle est en profondeur, naît quelque chose d’autre, une révélation, une transfiguration, tel un tableau de Cézanne né de la rencontre du peintre avec la Sainte-Victoire.

[7] « Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance./Et je n’en reviens pas./Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout./Cette petite fille espérance./Immortelle….Pour espérer, mon enfant, il faut être bien heureux, /il faut avoir obtenu, reçu une grâce » dit Péguy dans le Mystère des saints innocents..

[8] Voir www.teilhard-international.com « Ensemble, construisons la Terre », une exposition itinérante inspirée de la vision cosmologique de TEILHARD et de son extraordinaire convergence avec saint François d’ASSISE et François CHENG, pour mieux comprendre ce qui donne sens à la vie. Composée d’illustrations, photographies, sculptures, reproductions et panneaux documentaires, inspirés par leurs écrits, exprimés en pensées, poèmes, images, calligraphies et sculptures, elle invite à une méditation pour construire, dans la Joie, une civilisation de Paix et d’Amour. Voir la vidéo sur le site Elle est accompagnée désormais de la Cantate Hymne de l’Univers de Jean Christophe Rosaz crée à la paroisse S. François de Sales, Paris 17e, en janvier 2018 par Francis Bardot. Elle fait appel à un chœur de 50 choristes auquel se joignent une soliste soprano et un baryton. L’ensemble est accompagné d’une harpe, des cuivres et des timbales. Les textes sont confiés alternativement, au chœur, aux solistes – individuellement ou en duo – et à un récitant ou récitante qui intervient seul ou sur fond musical. On peut en entendre l’enregistrement intégral sur le site www.teilhard-international.com

[9] Lettre à sa cousine Marguerite Teillard-Chambon