Le pape François prolonge la réflexion écologique entamée par son encyclique Laudato si’

Dans son exhortation apostolique Laudate Deum publiée mercredi 4 octobre, fête de la Saint-François d’Assise, le pape François prolonge la réflexion écologique entamée par son encyclique Laudato si’.

Plus court et percutant, moins développé du point de vue théologique, ce nouveau texte propose des ressources pour penser certaines tendances de la société et quelques faits d’actualité : développement de l’intelligence artificielle, montée des discours climatosceptiques, rôle des conférences sur l’urgence climatique à l’approche de la COP28.
Ce texte s’appuie sur les acquis de Laudato si’, qu’il cite abondamment. Il ne reprend pas à frais nouveaux les traits principaux de l’écologie intégrale où s’entrecroisent le souci du pauvre et la protection de la nature. Il en reprend, pour le dénoncer une fois de plus, le concept de paradigme technocratique pris à tort comme moteur de Progrès, et il redit l’urgence de changer de mode de vie personnelle et de relation entre États.
S’adressant « à toutes les personnes de bonne volonté », le pape François allume un contre-feu face à tous les discours qui minimisent voire nient le problème environnemental actuel.
« Finissons-en une bonne fois avec les moqueries irresponsables qui présentent ce sujet comme uniquement environnemental (…). Acceptons qu’il s’agit d’un problème humain et social aux multiples aspects » (n. 58).
Le ton parfois véhément du texte ne l’enferme pas dans un constat alarmiste car il affirme aussi que « la société civile avec ses organisations est capable de créer des dynamiques efficaces » (n. 37).
Cette exhortation apostolique est aussi un message adressé aux chefs d’État en vue de la COP28 de Dubaï, pour laquelle le pape ne veut pas risquer l’« acte suicidaire » de « dire qu’il n’y a rien à (en) espérer » « qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique » (n. 53).
Cette exhortation apostolique vient prolonger et confirmer en les actualisant en profondeur, les réflexions de exposition “Ensemble, construisons la Terre” mise en circulation depuis quinze ans.
C’est la même exhortation à une prise de conscience générale, le même chant d’amour et de respect du vivant, poétique comme le Cantique des Créatures de François d’Assise.
“J’invite chacun à accompagner ce chemin de réconciliation avec le monde qui nous accueille, et à l’embellir de sa contribution, car cet engagement concerne la dignité personnelle et les grandes valeurs.
Il n’y a pas de changement durable sans changement culturel, sans changement chez les personnes.
C’est la notion même de Progrès telle que la proposait Teilhard de Chardin, il y a un siècle, que le pape François aborde ici implicitement en nous invitant à prendre en charge, individuellement et collectivement l’avenir de l’Univers.
C’est l’Amour du Monde et de l’Univers auquel nous invitent ces grands poètes de la Création que sont François d’Assise, le pape François, François Cheng et Pierre Teilhard de Chardin.
Voici dix citations parmi les plus marquantes de ce texte.

► La responsabilité des plus riches

« Dans une tentative de simplifier la réalité, certains attribuent la responsabilité aux pauvres parce qu’ils ont beaucoup d’enfants, et ils cherchent même à résoudre le problème en mutilant les femmes des pays les moins développés. Comme toujours, il semblerait que ce soit la faute des pauvres. Mais la réalité est qu’un faible pourcentage des plus riches de la planète pollue plus que les 50 % plus pauvres de la population mondiale, et que les émissions par habitant des pays les plus riches sont très supérieures à celles des pays les plus pauvres. » (n. 9)

► Le mépris des grandes puissances

« Malheureusement, la crise climatique n’est pas vraiment un sujet d’intérêt pour les grandes puissances économiques, soucieuses du plus grand profit au moindre coût et dans les plus brefs délais possibles. » (n. 13)

► Le climatoscepticisme dans l’Église

« Je suis obligé d’apporter ces précisions, qui peuvent sembler évidentes, à cause de certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Église catholique. Mais nous ne pouvons plus douter que la cause de la rapidité inhabituelle de ces changements dangereux est un fait indéniable : les énormes changements liés à l’intervention effrénée de l’homme sur la nature au cours des deux derniers siècles. » (n. 14)

► L’intelligence artificielle

« L’intelligence artificielle et les dernières innovations technologiques partent de l’idée d’un être humain sans aucune limite, dont les capacités et les possibilités pourraient être étendues à l’infini grâce à la technologie. Le paradigme technocratique s’alimente ainsi lui-même de façon monstrueuse. Les ressources naturelles nécessaires à la technologie, comme le lithium, le silicium et bien d’autres, ne sont certes pas illimitées, mais le plus grand problème est l’idéologie qui sous-tend une obsession : accroître au-delà de l’imaginable le pouvoir de l’homme, face auquel la réalité non humaine est une simple ressource à son service. » (n. 21/22)

► Questionner le pouvoir humain

« Nous devons tous repenser la question du pouvoir humain, de sa signification et de ses limites. En effet, notre pouvoir s’est accru de manière effrénée en peu de décennies. Nous avons fait des progrès technologiques impressionnants et stupéfiants, et nous ne nous rendons pas compte que, dans le même temps, nous sommes devenus extrêmement dangereux, capables de mettre en danger la vie de beaucoup d’êtres ainsi que notre propre survie. » (n. 28)

► Les projets à fort impact environnemental

« La décadence éthique du pouvoir réel est déguisée par le marketing et les fausses informations, qui sont des mécanismes utiles aux mains de ceux qui disposent de plus de ressources afin d’influencer l’opinion publique. Grâce à ces mécanismes, lorsqu’il est prévu de lancer un projet à fort impact environnemental et aux effets polluants importants, on illusionne les habitants de la région en leur parlant du progrès local qui pourra être généré, ou des opportunités économiques en matière d’emploi et de promotion humaine que cela signifiera pour leurs enfants. Mais en réalité, on ne semble pas s’intéresser vraiment à l’avenir de ces personnes, car on ne leur dit pas clairement qu’à la suite de tel projet, il résultera une terre dévastée, des conditions beaucoup plus défavorables pour vivre et prospérer, une région désolée, moins habitable, sans vie et sans la joie de la coexistence et de l’espérance, sans compter les dommages globaux qui finiront par nuire à beaucoup d’autres. » (n. 29)

► Les attentes pour la COP28

« Les Émirats arabes unis accueilleront la prochaine Conférence des parties (COP28). (…) Dire qu’il n’y a rien à espérer serait un acte suicidaire qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique. » (n. 53)

► Le solutionnisme technologique

« Supposer que tout problème futur pourra être résolu par de nouvelles interventions techniques est un pragmatisme homicide, comme un effet boule de neige. » (n. 57)

► La radicalité écologique

« Lors des conférences sur le climat, les actions de groupes fustigés comme « radicalisés » attirent souvent l’attention. Mais ils comblent un vide de la société dans son ensemble qui devrait exercer une saine « pression » ; car toute famille doit penser que l’avenir de ses enfants est en jeu. » (n. 58)

► L’importance des « petits gestes »

« L’effort des ménages pour polluer moins, réduire leurs déchets, consommer avec modération, crée une nouvelle culture. Ce seul fait de modifier les habitudes personnelles, familiales et communautaires nourrit l’inquiétude face aux responsabilités non prises des secteurs politiques et l’indignation face au désintérêt des puissants. Nous remarquons donc que, même si cela n’a pas immédiatement un effet quantitatif notable, cela aide à mettre en place de grands processus de transformation qui opèrent depuis les profondeurs de la société. » (n. 71)