Présentation du livre des Dialogues Allegra-Teilhard le jeudi 17 janvier à Radio Notre Dame

Compte rendu de la rencontre de jeudi 17 janvier 2019

Jeudi 17 janvier, Remo Vescia assisté de Mercè Prats de la Fondation Teilhard de Chardin, a présenté pendant près de 90 minutes, devant devant plus de 100 personnes, le livre des Dialogues Allegra-Teilhard sur la Primauté du Christ, (éditions Saint Léger.) La salle n’était pas assez grande pour accueillir les invités plus les personnes attirées par l’émission Le Grand Témoin sur Radio Notre-Dame, à 7h,30 le matin même. On peut la retrouver avec le podcast de l’émission à l’adresse suivante:
https://radionotredame.net/player/197239/

Le Père Gabriele Allegra – frère mineur d’origine sicilienne, missionnaire en Chine et premier traducteur de la Bible en chinois, – propose à ses lecteurs une reconstitution de ses conversations, qui avaient eu lieu à Pékin, entre 1942 et 1945, avec le jésuite Teilhard de Chardin. Ce dernier, profondément fasciné par la présence du Christ en toutes choses, cherchait avec passion à approfondir et à transmettre sa vision, dont il avait une perception très claire. Au temps de sa rencontre avec le P. Allegra, il se trouve devant un interlocuteur avec lequel il souhaite approfondir la thématique de la primauté du Christ dans la philosophie franciscaine, chez Duns Scot et S. Bonaventure en particulier. Le livre des Dialogues est le compte-rendu détaillé des thèmes abordés au cours de leurs échanges. L’ouvrage en restitue le climat humain, fascinant et suggestif, emprunt d’une grande cordialité et d’un très grand respect réciproque, d’où ressort le profil, humain et intellectuel, des deux interlocuteurs, avec un lot d’intuitions géniales et profondes. La requête de publier le compte-rendu détaillé des conversations arriva au P. Allegra au début des années dix-neuf cent soixante.
Teilhard de Chardin avait intégré la théorie de l’évolution et l’avait élargie à la totalité des espèces vivantes avec des termes inventés, en grand poète qu’il était. Il a résumé sa vision en ces termes qui déroulent en quelque sorte l’histoire dynamique de l’humanité : cosmogenèse, biogenèse, anthropogenèse, noogenèse, christogenèse.
L’opportunité de ces échanges fut donnée par la demande du Nonce Apostolique Mgr Mario Zanin, qui confia au Père Allegra la mission d’aider le père jésuite à clarifier sa vision théocentrique du primat du Christ, en lui permettant ainsi de mieux formuler ses fascinantes visions inédites. Mgr Zanin s’était adressé au P. Allegra parce qu’il voulait donner à Teilhard la satisfaction de voir imprimer son ouvrage Le Milieu Divin, écrit une quinzaine d’années auparavant, que les censeurs de sa Compagnie lui déniaient. Sur la dédicace de cet ouvrage figurait :
Pour ceux qui aiment le monde cette esquisse d’un optimisme chrétien.

Après une lecture attentive et méticuleuse, qui reconnaissait la valeur du texte, la censure fut déclarée négative par Allegra, à cause d’une certaine ambiguïté lexicale et à cause de certains concepts que tous n’auraient pas pu comprendre en ce temps-là. Allegra avait néanmoins mis en évidence certaines intuitions de Teilhard qui l’avaient fasciné, en particulier la primauté absolue du Christ. Le Nonce Apostolique lui confia alors la délicate mission d’en informer lui-même Teilhard tout en cherchant à lui faire clarifier certains points controversés. C’est ainsi que naquirent ces Dialogues entre le jeune théologien franciscain – il n’avait que 35 ans – et le père jésuite déjà célèbre à cause de ses travaux en paléontologie, alors âgé de plus de soixante ans.

Certains traits humains et chrétiens de Teilhard ressortent du témoignage du Père Allegra. Ils sont intéressants à relever : ‘Je fus émerveillé, avant tout, par son humilité, il écoutait avec une bienveillance sincère les observations de nature philosophique et théologique que je faisais de sa pensée… Je demeurais encore plus surpris quand il me donnait des arguments scientifiques… mais surtout je fus très ému de son explication, de ses explications devrais-je dire, car il y retournait souvent, du Christ Alpha et Oméga, du Christ Plérôme, comme il disait… C’était un intuitif et un mystique absorbé dans son monde intérieur, pris tout entier par lui. Prêtre, poète, penseur mystique… tout lui était prétexte à revenir à son idée maîtresse : Le Christ Alpha et Oméga, le Christ Plérôme, la nature, la matière est sainte, l’univers est le manteau royal du Christ.

Tout au long de ces échanges que le Père Allegra avoue lui être restés indélébilement gravés dans le cœur, ils approfondirent ensemble les textes sacrés.
Allegra aussi était fasciné par la grandeur cosmique et par la primauté du Christ, Rex totius universi, Alpha et Oméga, principe de la création de Dieu, fin ultime en vue de laquelle tout a été créé et vers quoi tendent toutes choses ; un tel présupposé signifie que l’Incarnation n’eut pas lieu pour nous racheter du péché. C’est une doctrine qui se fonde sur l’Ecriture Sainte et, en particulier sur les écrits de S. Paul ( I Cor., 15-28 ; Col. 3, 11 ) et de S. Jean (Apocalypse, I,8 ; 22,12-13).
Aujourd’hui, observe le Père Allegra, la théologie devrait travailler sur cette synthèse de l’Evolution, au lieu de quoi elle paraît statique, privée de dynamisme, parce que séparée de la science, qui de son côté, est en constant mouvement. L’Église au contraire, mais surtout le monde et la culture contemporaine, ont besoin d’une « cosmologie théologique » dans laquelle on retrouve la pensée de Platon, d’Aristote, des Arabes, avec la dimension prophétique des saints, comme l’avait déjà proclamé Dante dans sa Divine Comédie. Teilhard partage en scientifique ces exigences lorsqu’il fonde sa vision sur la question de la place du Christ dans l’univers (cf Colossiens 1, 16-17 ; Hébreux, 1 ; 2-3 😉 afin d’intégrer les données de la Révélation et de la science dans une théologie cosmique : « la passion de lire les lois de Dieu dans l’univers non seulement me soutient, mais elle me stimule » dit-il au Père Allegra. Il affirme ainsi que l’évolution a un fondement et une âme théologique, en ce qu’elle est ordonnée à la gloire du Christ : l’univers tend vers l’homme et l’homme tend vers le Christ, point Omega, le grand Christ ; par conséquent, le monde n’a de sens qu’en Christ.

Cette intuition, selon le Père Allegra, est la contribution impérissable du savant français aux théologiens et philosophes chrétiens, à condition qu’ils soient tous « des feux contemplatifs » et qu’ils aient un cœur pur ; en fait « la science et la foi sont appelées non pas à se combattre mais à se compléter réciproquement. » Teilhard confirme « Le Christ n’est pas entré dans l’Univers crée occasionnellement, à cause du péché d’Adam, mais au contraire c’est l’Univers qui existe pour le Christ, en vue de sa venue. C’est le Christ qui est l’occasion de l’existence de l’Univers, qui a pris consistance en Lui. Lui, le Révélateur, Lui, le Glorificateur du Père, Lui le Chef de la Création, qui en vertu de son Incarnation, a été consacrée et continue d’être consacrée par son Église ».
Ainsi l’Incarnation est l’œuvre majeure de Dieu, le chef-d’œuvre vers quoi tout converge, le Fils de Dieu incarné est l’Alpha et l’Oméga, roi de l’Univers, Celui qui détient la primauté sur toute chose (Colossiens, I,18).
« A la lumière de cette doctrine, qui a pour toile de fond toujours la thèse du christocentrisme, le drame de la Rédemption, se mue de drame de justice en drame de très haut et très pur Amour ». Allegra avait accepté de rapporter ces conversations avec Teilhard plus de vingt ans plus tard, en 1965, soit dix ans après la mort de Teilhard, qui avait été suivie de la parution de ses œuvres complètes et rencontré un très vif succès.
Ces Dialogues écrits en italien par Allegra furent aussitôt traduits en anglais. Mais pas en français, malgré le travail resté inédit d’une première traductrice – Mme Daverio …
Une nouvelle traduction française élaborée par Remo Vescia en liaison avec la Fondation Teilhard de Chardin paraît finalement, après plus de cinquante ans, enrichie d’une Préface de M. J. Coutagne, d’une introduction du P. Rivi, éditeur de la version italienne et de nombreuses notes lexicographiques qui font de ce livre un véritable petit bijou très agréable à lire.