Aller au contenu

Sur le plateau de Saclay, un centre inédit pour concilier science et foi

Article paru dans le journal La Croix repris ici avec nos remerciements.

Le Centre Teilhard-de-Chardin, porté par la Compagnie de Jésus et quatre diocèses d’Île-de-France, est inauguré vendredi 2 juin à Gif-sur-Yvette (Essonne). Il ambitionne d’accompagner les chrétiens travaillant dans la « Silicon Valley » française, mais aussi d’entrer en dialogue avec le monde scientifique.

Sur le plateau de Saclay, un centre inédit pour concilier science et foi

 

Ses lignes épurées et ses volumes généreux s’inscrivent parfaitement dans l’architecture quelque peu futuriste du plateau de Saclay. Pourtant, le bâtiment à la façade sombre qui y a ouvert ses portes vendredi 2 juin n’est ni une énième école d’ingénieur ni un laboratoire d’astrophysique. La chapelle de forme conique qui trône en son sein, revêtue de terre couleur sable, trahit sa vocation : être un « espace de dialogue » entre sciences, philosophie et spiritualité.

 

D’ici peu, quelques-uns des 30 000 étudiants et 20 000 scientifiques qui travaillent dans cette zone de la banlieue sud de Paris prendront leurs habitudes dans les canapés, parloirs et autres salons de lecture du Centre Teilhard-de-Chardin, du nom d’un jésuite et paléontologue mort en 1955. Là, les livres sur les mathématiques, le nucléaire ou l’intelligence artificielle avoisinent la Somme théologique de Thomas d’Aquin et les écrits du théologien Urs von Balthasar.

Messe dominicale et rencontres d’aumônerie

Bien qu’étendu sur quatre niveaux et 1 600 m2, ce centre flambant neuf est désormais le plus petit bâtiment public du projet Paris-Saclay. Préférant les espaces ouverts aux couloirs et aux portes, il a été pensé comme « un lieu de mise en relation » par son architecte Jean-Marie Duthilleul, qui a rénové le chœur de Notre-Dame de Paris en 2004 : relation avec les autres, Dieu et la nature, le bois étant volontairement « omniprésent » entre ces murs.

Le Centre Teilhard-de-Chardin proposera notamment des temps spirituels et de formation aux chrétiens du plateau de Saclay, avec des conférences et une messe tous les dimanches soir. Il accueillera par ailleurs les aumôneries des grandes écoles des environs : de Polytechnique à HEC en passant par la faculté de pharmacie et l’École normale supérieure (ENS Paris-Saclay).

« Quand j’étais étudiant (à Polytechnique, NDLR), il n’y avait que trois écoles ici », rappelle le père Dominique Degoul, le jésuite qui dirige ce centre créé par la Compagnie de Jésus et quatre diocèses franciliens. « Aujourd’hui, nous avons deux petites villes étudiantes et scientifiques. L’Église s’est dit qu’elle devait y avoir un point de contact. »

Une construction à 8 millions d’euros

Conscient des nombreuses critiques qu’a suscitées la bétonisation du plateau de Saclay, où s’étendaient auparavant des terres agricoles, le père Degoul précise qu’il n’aurait pas eu l’idée, pour sa part, de regrouper la recherche française en ces lieux. « Mais puisque la décision a été prise (sous la présidence de Nicolas Sarkozy, NDLR), l’Église a jugé qu’elle devait y être présente. »

 

La Compagnie de Jésus, dont sont traditionnellement issus les aumôniers de Polytechnique, HEC et Centrale Supélec, s’est imposée comme un acteur pertinent pour porter ce projet. Dès 2010, Mgr Michel Dubost, alors évêque d’Évry-Corbeil-Essonnes, a fait appel aux jésuites pour le lancer. Cinq lieux successifs ont été imaginés pour abriter ce centre, jusqu’à l’obtention du permis de construire en 2020.

Sur le plateau de Saclay, un centre inédit pour concilier science et foi

 

Sur les huit millions d’euros de budget de construction, la Compagnie de Jésus a apporté la moitié et quatre diocèses franciliens l’autre moitié : Paris (30 % du budget total), Évry (10 %), Versailles (5 %) et Nanterre (5 %). « Heureusement, les donateurs ont été généreux », a souligné lors de l’inauguration Mgr Michel Pansard, actuel évêque d’Évry. D’autres évêques franciliens étaient aussi présents, au côté du provincial des jésuites François Boëdec, de chefs d’entreprise et bien sûr de scientifiques.

Un groupe de réflexion sur l’intelligence artificielle

Au-delà de l’accompagnement pastoral des chrétiens qui vivent ou travaillent à proximité, le Centre Teilhard-de-Chardin ambitionne de « jeter un pont entre les rivages de la foi et de la science », selon les mots de l’archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich, également présent vendredi. Si la région parisienne compte déjà trois instituts de formation à la théologie (l’Institut catholique de Paris, le Centre Sèvres et le Collège des Bernardins), aucun n’est spécialisé dans le dialogue avec le monde scientifique. Celui du plateau de Saclay complète en quelque sorte le dispositif.

 

Au sein de son conseil scientifique, les physiciens sont majoritaires : parmi eux, Étienne Klein, Inès Safi (de tradition musulmane) ou encore Thierry Magnin, prêtre et ancien secrétaire général de la Conférence des évêques de France. Quatre groupes de réflexion ont déjà été créés, destinés à approfondir des thèmes comme l’intelligence artificielle ou encore l’écologie intégrale.


Chercheurs chrétiens, ou comment concilier science et foi

Enquête

À l’occasion de l’inauguration du 2 au 4 juin du Centre Teilhard-de-Chardin sur le plateau de Saclay (Essonne), La Croix a interrogé des scientifiques chrétiens sur la manière dont ils parviennent à articuler leurs recherches et leur foi.

  • Florence Chatel,

« Mon intérêt pour le vivant m’a conduite au Vivant, tel que se nomme le Christ, lance d’emblée Noëlle Favet, biologiste, entrée au noviciat des religieuses du Sacré-Cœur de Jésus à la fin de son doctorat. J’étudiais les mécanismes de défense des plantes pour lutter contre des maladies. Quand on fait de la recherche cellulaire, on passe son temps à s’émerveiller devant la nature “bien faite”, même si elle dysfonctionne de temps à autre. Cela ouvre peut-être à la question d’une transcendance, d’une origine et d’une finalité. » Cette enseignante-chercheuse ne relève pas de contradiction entre ses deux vocations, mais plutôt une complémentarité. En quoi consiste ce dialogue entre science et foi ? À quelle vigilance appelle-t-il les chercheurs croyants ?

« J’ai appris à respecter l’autonomie et la distinction de ces domaines pour essayer de les articuler », commente le père Thierry Magnin, physicien, théologien, et membre du conseil scientifique du Centre Teilhard-de-Chardin inauguré ce week-end sur le plateau de Saclay (Essonne). « Les sciences dures ont pour objectif de trouver des causes naturelles aux phénomènes naturels. Elles ne s’intéressent donc pas à Dieu. De même, dans le domaine biblique ou théologique, nous ne cherchons pas à résoudre des équations mathématiques mais à comprendre l’action de Dieu sur la destinée de nos vies et le sens de cet univers », développe-t-il.

Chercheur dans son laboratoire, chrétien à l’église ?

Chercher une preuve scientifique de l’existence de Dieu – ce qu’on appelle le concordisme – serait donc une impasse pour le chercheur croyant. Pour Bertrand Thirion, directeur de recherche à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) à Saclay, une telle démarche reviendrait à « assujettir Dieu à nos raisonnements scientifiques. Or ceux-ci ne détiennent pas la vérité. Ils produisent une compréhension du monde compatible avec nos observations. »

Dans son laboratoire, le chercheur avance en effet à tâtons. La méthode scientifique s’appuie sur une hypothèse de départ, une vérification, et dans la mesure où les résultats sont cohérents avec l’hypothèse, le chercheur estime qu’il peut aller plus loin dans sa démarche, rappelle Noëlle Favet. Mais des faits ultérieurs peuvent amener à remettre en cause l’hypothèse. « D’une certaine manière, nous ne sommes jamais dans des certitudes absolues. »

Pour autant, s’agit-il de séparer les domaines par une cloison totalement étanche, être chercheur dans son laboratoire, chrétien à l’église ? Certes non, répondent ces chercheurs. Mais il s’agit d’être vigilant, tant du côté de la science que de la foi ou de la théologie : autrement dit noter qui parle, à partir de quelle expertise, en se gardant de tout absolutisme. « Prenons l’exemple de la création du monde. Le big bang nous indique que le monde a une histoire depuis un éventuel démarrage de l’univers », déclare le père Thierry Magnin.

Le scientifique va penser le commencement dans le temps et dans l’espace à partir d’un éventuel point zéro, tandis que le bibliste dira que Dieu est à l’origine du monde, « ici et maintenant ». C’est-à-dire que « Dieu fait exister le monde par une création d’amour, à tout instant. Le Dieu créateur n’est pas un fabricant au sens où aujourd’hui on fabrique une machine ou même du vivant artificiel ».

Articuler science et foi, science et théologie consiste donc à prendre en compte des spécificités et des positions très différentes. Et plus le chercheur avance dans sa compréhension du monde, plus le croyant creuse sa foi, plus il peut trouver une forme de cohérence entre ces domaines. « La science bouscule, fait naître du neuf, pose les questions autrement. Elle m’oblige à creuser une certaine intelligence de la foi. Et la foi me donne accès, autrement, à ce qui peut être inaccessible à la science seule », témoigne Noëlle Favet.

Une telle synthèse a été proposée par Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955). Ce jésuite paléontologue a vu dans l’évolution « une formidable transformation créatrice à une époque où le darwinisme faisait très peur », rappelle Thierry Magnin. Il a proposé une cohérence entre la vision du Christ cosmique des épîtres de Paul et des lettres de Jean et ce qu’il percevait de cette évolution en tant que paléontologue.

La synthèse de Teilhard de Chardin

« Teilhard a eu cette parole forte, “Dieu fait le monde se faire”, c’est-à-dire qu’Il lui donne les conditions d’existence. Mais ce monde se déroule, biologiquement ou physiquement parlant, selon les lois de la nature. Et si celles-ci comportent une part de hasard, ce n’est pas du tout contradictoire avec le Dieu créateur tel que la Bible nous le présente. » Un Dieu en qui, à tout moment, « nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 28).

Dans cette création « continuée », Teilhard a donné à l’homme la place de cocréateur. « Toutes ses intuitions lui sont venues de ses années de guerre. Brancardier dans les tranchées, il a vu le sens de la négation de l’évolution et le sens de l’union. La base de sa pensée est le principe d’union, qu’il voit comme une trace de l’activité créatrice de Dieu, non comme une preuve. »

Une expérience spirituelle de co-création

« Je ne veux pas mettre Dieu au bout du télescope. Mais je le perçois comme un compagnon », confie Bertrand Thirion. Dans son travail, ce chercheur collabore notamment avec des développeurs de logiciels libres. Certains échanges intelligents, une manière de s’engager ensemble, relèvent pour lui de l’expérience spirituelle et de la cocréation. « Nous sommes là pour essayer de construire un monde meilleur », ajoute-t-il.

Aujourd’hui, l’écologie invite plus que jamais à développer le dialogue entre science et foi. Engagée dans le groupe de travail sur l’écologie intégrale au Centre Teilhard-de-Chardin, Noëlle Favet reconnaît les contradictions apparentes d’un tel dialogue : les marqueurs scientifiques négatifs l’obligent à regarder la réalité en face, tandis que sa foi la maintient dans l’espérance d’un passage possible et la pousse à chercher plus loin.

À ses yeux, scientifiques et chercheurs de Dieu se rejoignent « dans un même désir d’approfondir un mystère » – quelque chose que l’on n’a jamais fini de comprendre et qui incite à poursuivre la réflexion – en vue d’un agir responsable.

——-

Trois jours d’inauguration du Centre Teilhard-de-Chardin

Programme du 2 au 4 juin :

  • Vendredi 2 juin, 10 h 30, conférence inaugurale animée par le conseil scientifique du Centre Teilhard-de-Chardin sur le thème : « Quelles lumières pour aujourd’hui ? Peut-on faire progresser l’idée de progrès ? » À suivre également sur la chaîne YouTube du centre.
  • Samedi 3 juin, journée portes ouvertes, avec :

De 10 heures à 10 h 20, et de 14 heures à 14 h 20, présentation du centre par son directeur, le jésuite Dominique Degoul.

De 10 h 20 à 11 heures, intervention de Bertrand Thirion, responsable du groupe de réflexion sur l’intelligence artificielle.

De 14 h 20 à 15 heures, intervention de Bruno Dufay, responsable du groupe de réflexion sur l’écologie intégrale.

Et toute la journée, en continu :

  • Des ateliers thématiques animés par les responsables des groupes de réflexion sur l’écologie intégrale, les sciences en entreprise, l’intelligence artificielle, Teilhard de Chardin…
  • Une exposition sur Pierre Teilhard de Chardin, sa vie et son œuvre.
  • La possibilité de visiter librement le centre.

Dimanche 4 juin à 18 heures, messe de consécration de la chapelle célébrée par Mgr Laurent Ulrich (archevêque de Paris), Mgr Michel Pansard (évêque d’Évry) et le père François Boëdec, provincial des jésuites d’Europe occidentale francophone.