Entretien avec François Cheng

Entretien avec François Cheng

par Catherine Argand

Lire, décembre 2001 / janvier 2002

C’est sous la forme d’un beau livre, un album de calligraphie, que ce Chinois devenu français a choisi de se dévoiler, un peu plus que dans ses poèmes, ses romans ou ses essais, où il s’abritait volontiers derrière ses héros ou des artistes.

 

De la Chine il a gardé un nom, de la France choisi un prénom, celui-ci plutôt qu’un autre à cause d’un moine d’Assise fort à l’aise avec le cosmos. «La mystique de saint François exalte la nature, le vivant, l’eau, le feu. J’y trouve une résonance chinoise.» De là-bas, de l’extrême du continent, il garde l’impassible maintien, la réserve affable. Vous sonnez. Le voici devant vous, droit comme un i, bouche rouge et cheveux drus. Il vous sert le thé, pèse ses mots. Intense, soucieux, précis. Ceci fait, thé, mesure et précision, il sourit. Ici, dans cette petite pièce claire et moderne où il vient travailler, la fenêtre donne sur un jardin. Le tronc du bouleau sinue, le lierre mordille un mur. Un paysage chatoyant et résistant. «Chatoyant et respirant», dirait cet homme épris de taoïsme et dont l’histoire eut partie liée avec Mao Zedong et Roland Barthes.

 

Nous vous connaissions poète et romancier, nous vous «découvrons» calligraphe. Que nous vaut cette divine surprise?

FRANÇOIS CHENG. C’est vrai, même si au fil de mes quatre albums consacrés à la peinture chinoise le public pouvait deviner que je m’adonne moi-même à la calligraphie, c’est la première fois que je révèle, et à un âge avancé, cet aspect de mon être. Ce qui est publié ici, ce sont mes productions les plus récentes, celles des quinze dernières années. Car, même si j’ai pratiqué la calligraphie depuis le plus jeune âge au côté de mon père, il aura fallu que j’en sois privé en tombant gravement malade durant plusieurs années pour la reprendre avec une sorte de frénésie et infiniment plus de résolution. La calligraphie est devenue une forme d’accomplissement de mon être, une forme essentielle de création personnelle aux côtés de la poésie et du roman.

 

«Quand je trace le mot  »harmonie », je rentre dans l’harmonie», écrivez-vous dans Et le souffle devient signe. Calligraphier, ce n’est donc pas seulement écrire…

F.C. La calligraphie, telle qu’elle est pratiquée en Chine, n’est pas un simple passe-temps de lettré. Art à part entière, elle constitue une activité si fondamentale qu’elle sert de référence aux autres arts plastiques: peinture, sculpture, architecture, danse… Celui qui la pratique se voit obligé d’y engager tous les niveaux de son être. Niveau physique d’abord, surtout pour la calligraphie de grande dimension. L’artiste doit, en cours d’exécution, mobiliser son corps entier, car il s’agit pour lui de faire passer tout le souffle dont il est animé dans le corps même des signes tracés. Niveau esthétique ensuite. L’artiste travaille sur un ensemble de figures incarnées à la structure complexe et variée. Une structure fondée sur des exigences de contrastes, de reliefs et d’harmonie rythmique, toutes qualités demandant à être réalisées instantanément. La calligraphie n’autorise pas la retouche. En simplifiant beaucoup, on peut dire que l’art calligraphique est avant tout un art du trait dans la mesure où les idéogrammes sont composés de traits. Mais le trait n’est pas une simple ligne. Par ses pleins et ses déliés, par les infinies inflexions qu’il recèle, il est à la fois volume et teinte, forme et mouvement. Il y a là une économie qui permet de viser immédiatement l’essentiel. Enfin, niveau intellectuel ou spirituel. Il ne faut pas oublier que les figures en question sont des idéogrammes signifiants. Le contenu du texte à calligraphier, qu’il soit méditatif ou poétique, n’est jamais indifférent. C’est l’esprit profondément imprégné des idées que portent les signes du texte que l’artiste parviendra à les incarner.

 

Ecrire, c’est autre chose encore que tracer des signes sur une surface plane?

F.C. Oui, car pour un Chinois, le papier est un espace vital; il s’y meut comme dans l’univers. Ce que l’artiste trace est un ensemble d’idéogrammes qui figurent charnellement les éléments de l’univers vivant. Le système idéographique est une «mise en relation» ou une «mise en signe» de l’univers vivant. Par exemple, «repos» est composé de «homme» plus «arbre» et «bon» ou «bonté» de «femme» plus «enfant». Le trait calligraphique est à l’image du souffle dans la cosmologie chinoise. La calligraphie envisage l’univers comme un tout organique et unitaire régi par le souffle qui est à la fois essence originelle et transformation continue. La matière, le vivant, le corps sont des condensations du souffle. C’est bien le souffle, principe de vie, qui prime sur la chair, et même sur l’esprit. Le calligraphe, en traçant ses traits, est persuadé de raviver le souffle qui anime l’univers, celui-là même qui inspire aussi sa main, sorte de sismographe de son âme.

 

Pendant toutes les années où, en qualité d’artiste, vous fûtes réduit au silence faute de parfaitement maîtriser la langue française, la calligraphie n’a-t-elle pas été une puissante consolation?

F.C. Tout au long de ma vie souvent bouleversée, la possibilité d’entrer en communion avec le parfum du papier, la saveur de l’encre et par-delà avec les figures incarnées était toujours une source de joie. Elle me procurait réconfort et apaisement à mes heures de solitude et de désarroi. Pendant vingt ans, faute de pouvoir écrire des essais, des poèmes et des romans directement en français, j’ai été un homme sans parole.

 

N’avez-vous jamais regretté d’être resté en France au terme des deux années pour lesquelles une bourse vous avait été accordée, alors que la Chine allait cadenasser ses frontières?

F.C. Vers la fin des années cinquante, oui j’ai été pris de découragement. Je ne savais pas que la Chine serait fermée hermétiquement. Alors que je m’adonnais à l’art poétique depuis l’âge de dix-sept ans, j’étais dans l’impossibilité de me livrer à une création personnelle. Ni en français puisque je ne possédais pas suffisamment bien cette langue, ni en chinois faute d’avoir la possibilité de me replonger dans la réalité de mon pays. J’étais en perdition aussi bien sur le plan matériel que sur le plan de l’esprit. Je n’avais pas de diplômes valables et pas encore de métier. Ma culture d’origine et l’art chinois n’avaient pas alors la notoriété qu’ils ont aujourd’hui. Puis, petit à petit, immergé dans cette terre d’accueil et initié à cette nouvelle langue, j’ai éprouvé l’ivresse de renommer les choses à neuf comme au matin du monde.

 

Avec quelle aide et dans quelles circonstances avez-vous appris le français?

F.C. Lorsque je suis arrivé, en 1949, âgé d’à peine vingt ans, je me suis inscrit à l’Alliance française et j’ai étudié jusqu’au diplôme qui me permet d’enseigner le français à l’étranger. Je suivais également, et avec la même application, des cours à la Sorbonne. Et puis j’allais lire à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Je venais si souvent et demandais tant de livres que je finissais par devenir un peu la bête noire des préposés. Je lisais toute la littérature occidentale de manière méthodique et attentive. D’abord tout le XVIIe siècle, puis le XVIIIe; une façon de me mesurer à la difficulté de cette langue qui était un désespoir pour moi à l’époque. Et pourtant, aujourd’hui même l’Académie française vient de me décerner le Grand prix de la Francophonie et j’en suis extrêmement honoré car je viens d’une langue idéographique qui n’a absolument rien à voir avec la langue latine. Que je sois devenu trente ans plus tard un écrivain français, cela tient du miracle même si dans ce miracle entre une part de passion et de détermination.

 

Votre poésie écrite en français manifeste cette passion, cette attention aiguë portée aux mots et à leur chant…

F.C. Ma passion pour la langue française m’a rendu infiniment sensible aux signes comme unité de vie et comme présence charnelle. Beaucoup d’entre eux me sont devenus des idéogrammes, non tant par leur trait graphique que par leur qualité phonique. Par exemple, «arbre» m’évoque quelque chose qui s’élève (ar) et qui, ayant atteint l’équilibre (b), projette depuis sa hauteur de l’ombre (re). «Echancrure» quelque chose qui se révèle (échan) et qui aussitôt se resserre pour ne point trop montrer (crure), «visage» quelque chose qui s’amasse (vis) et qui, comme malgré lui, s’ouvre indéfiniment (age). Par-delà les mots, il y a la musique des vers qui est primordiale pour moi. Dans ma poésie, j’ai toujours tenté de réunir les grandes traditions de chant, chinoise et occidentale, l’une marquée par l’esprit du Chan (Zen), l’autre par sa nature orphique; cette dernière veine existe en réalité aussi en Chine, chez Du Fu, Litte, Li Shangyin, par exemple.

 

Onze ans après votre arrivée, vous entrez comme assistant à l’Ecole des hautes études. Vous rencontrez Barthes, Kristeva, Greimas… Quelle était la nature de vos échanges?

F.C. Nous parlions beaucoup de la notion de vide médian entre les signes qui bouleverse l’ordre de la langue. En retour, et avec d’autres, ils m’ont initié à la sémiologie dont je me suis servi et me sers encore pour revoir ma propre culture.

 

Rappelons que la sémiologie se propose de traiter tout système de signes comme langage…

F.C. Et d’y effectuer des coupes internes et pertinentes afin de faire ressortir tout ce que les éléments constituants peuvent comporter de connotations ou de significations insoupçonnées. C’est en recourant à cette méthode d’analyse que j’ai rédigé en 1977 L’écriture poétique chinoise et, deux ans plus tard, Vide et plein, un essai sur la peinture chinoise comme langage; par la suite, j’ai publié des livres d’art et des monographies, l’une consacrée à Chu Ta, l’autre à Shitao, et là encore la sémiologie est sous-jacente.

 

Vous vous êtes lié d’amitié avec Lacan. Vous êtes-vous allongé sur le divan?

F.C. Non. Je connais la grandeur de la psychanalyse, c’est une percée inouïe dans notre système mental. J’admets l’utilité ou l’importance d’une analyse pour beaucoup de personnes mais, comme créateur, je me suis déjà appliqué une analyse tout au long de ma vie. Et surtout je considère qu’une analyse, trop lucide, trop méthodique, trop formelle, nuit à la création. Aussi bien en tant que poète que romancier, il est bon que la matière d’un drame comporte sa part d’obscurité et de mystère. Le propos du créateur est d’aller aussi loin que possible dans l’élucidation de ce mystère tout en se laissant déborder par ce que ce mystère contient de résonance infinie. La vraie création est un combat avec l’ange. On ne prétend pas en sortir vainqueur. Au contraire, on s’anéantit dans la création en laissant la part non maîtrisable continuer son chemin.

 

En 1982, vous retournez en Chine après trente ans d’exil. Quelles émotions avez-vous éprouvées?

F.C. Je suis retourné à trois reprises dans mon pays. La dernière fois, la plus longue, c’était il y a trois ans. L’université de Pékin m’avait invité à parler du mouvement des idées en France depuis 1950, y compris de mes propres travaux. Là-bas, on me considère comme un vieux Pékinois parce que je parle un chinois sans accent et qu’en dépit de mon exil je me suis toujours tenu au courant de tout. Ce mélange de dépaysement et de familiarité instinctive que j’éprouve en Chine donne lieu parfois à des situations étranges. Par exemple, lors d’un dîner à l’université, chacun s’est mis à raconter son expérience dans un camp. Chaque Chinois a une expérience douloureuse mais partielle de la révolution culturelle. Ils étaient étonnés de la connaissance globale et précise que j’ai de ce qui s’était passé dans l’ensemble des provinces chinoises. Et ils m’ont obligé à continuer mon récit pendant toute la soirée.

 

Comment étiez-vous au courant de tout?

F.C. Je possède une bibliothèque chinoise où je range tout ce qui paraît au fur et à mesure. J’ai toujours été un témoin passionné. C’est en ce sens aussi que par la force des choses j’étais au courant de tout. Rien ne m’est indifférent, bien que de tout temps j’aie cherché à aller directement vers les choses qui ont une urgence pour moi. Je peux entreprendre un voyage ou faire un détour pour aller voir un seul tableau dont quelqu’un aura mentionné l’existence dans une église ou un village.

 

Quels sont parmi les peintres d’Occident ceux que vous préférez?

F.C. Rembrandt, Vermeer. Parmi les renaissants italiens, Piero della Francesca, Mantegna, Carpaccio, Giorgione. Puis Dürer, Poussin, Watteau, Chardin, Van Gogh, Cézanne, Monet, Matisse…

 

Poussin? Cela semble étrange…

F.C. Oui, au premier abord. Ce que j’admire chez lui comme chez les grands maîtres chinois, c’est sa composition. Une composition pas seulement géométrique et objective. Il agence les plans, les couleurs, les personnages et les paysages selon une structure mentale comportant une rythmique interne souveraine. Prenez L’enlèvement des Sabines: dans cette œuvre soumise à un mouvement déchaîné, Poussin fait preuve d’une maîtrise extraordinaire. En même temps toutes ses grandes représentations de paysages antiques baignent dans une sorte de lumière quasi mystique. Je pense à une toile représentant un paysage grandiose avec dans l’angle en bas à gauche un homme mordu par un serpent. C’est un Poussin dramatique. Mais d’autant plus pathétique que cette dramatisation n’est pas exagérée. Ainsi, par un après-midi silencieux, un homme est mordu et va mourir dans un instant tandis que l’univers de la vie se perpétue.

 

L’univers semble souvent surdimensionné dans la peinture chinoise par rapport aux personnages humains…

F.C. Là où vous voyez un personnage perdu dans la nature, pour un Chinois ce personnage devient l’œil du paysage. Au lieu d’être une scène extérieure, décorative, le paysage devient le reflet de son âme, le mouvement de son esprit. Ce que la peinture chinoise peut nous enseigner, c’est cette longue intimité avec la nature. La nature n’est pas un décor, un agrément, mais la part vitale de notre propre esprit. Elle nous initie à la loi de la vie et au mystère de la beauté, tout en incarnant ce que notre esprit porte en lui de secret et de nostalgique.

 

On vous considère comme un passeur entre l’Orient et l’Occident…

F.C. J’ai essayé d’opérer une symbiose en moi-même en prenant la meilleure part des deux grandes cultures auxquelles j’ai eu affaire. Dans le domaine de l’art j’ai entrepris de dialoguer avec la peinture occidentale. Par le truchement des livres, j’ai dialogué avec les écrivains et avec des penseurs, Platon, Plotin, Pascal, Schelling, Kierkegaard, Bergson, Merleau-Ponty, Levinas, etc. Je citerais aussi les grands mystiques: saint Augustin, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix et les mystiques rhénans. En ce sens je suis un passeur, je fais passer en moi-même ces grands courants, j’essaie de réaliser cette symbiose qui obéit à une nécessité vitale, à une respiration de mon être.

 

Cette symbiose est-elle possible?

F.C. Je répondrais qu’elle n’est jamais tout à fait possible. Pas plus qu’elle n’est irréductible et impossible. La Chine n’a jamais été une culture monolithique, elle a bien assimilé le bouddhisme qui venait d’Inde. Chez moi en tout cas, il n’y a pas d’hiatus insurmontable. Autant je fais mien tout ce que l’Occident a acquis de positif sur le plan d’une pensée dualiste, qui comporte certes ses limites et ses dangers, ou concernant la philosophie du sujet dont résulte la notion du droit et de la démocratie, autant je n’abandonne pas certaines notions fondamentales que propose la pensée chinoise. Notamment celle de l’unité de l’univers vivant, le Tao, «la voie», qui est une vision ouverte et transformatrice, nullement en contradiction avec l’apport occidental que je viens d’évoquer.

 

C’est en effet l’esprit de Lao-tseu, plus que celui de Confucius ou de Bouddha, qui vous anime. Pourquoi?

F.C. Le confucianisme est une pensée de l’homme engagé. Selon Confucius, l’homme a une responsabilité à l’égard de l’univers et de la société humaine. Il doit participer comme troisième terme à l’œuvre du Ciel et de la Terre. Les questions confucéennes sont essentiellement éthiques: comment faire le bien? Comment créer l’harmonie dans la société? Cette attitude éthique que l’on rencontre tout autant chez les intellectuels en Occident me paraît quasi naturelle. C’est un engagement qui va de soi. Le bouddhisme, lui, en plus de s’occuper du salut de l’âme, propose une sorte de pratique généralisée de la charité. Là aussi on ne peut qu’y souscrire, les chrétiens d’ailleurs éprouvent le même souci. Je ne rejette donc ni l’essence du confucianisme, qui par la suite s’est altéré en devenant une doctrine d’Etat, ni celle du bouddhisme. Mais ce qui m’intéresse dans le taoïsme, je le répète, c’est qu’il propose une vision globale, unitaire et organique de l’univers vivant. Un univers où tout se relie et se tient à partir de l’idée de souffle, unité de base et qui relie entre elles toutes les entités vivantes. On sait que le fonctionnement du souffle est ternaire: le yin, le yang et le vide médian. Ce dernier est le trois taoïste qui, né du deux et drainant la meilleure part du deux, permet à celui-ci de se dépasser et de s’engager dans la voie de la transformation. C’est justement cette vision qui me permet d’intégrer tous les éléments valables venant d’ailleurs sans éprouver de déchirements majeurs.

 

Cette façon de respirer, d’acquiescer à une vision ouverte de l’univers vous a conduit à écrire votre premier roman, Le dit de Tianyi. Pourquoi avoir abandonné la poésie en cette circonstance?

F.C. La Chine est en plein bouleversement depuis le début du siècle et les Chinois ont tous une expérience de vie très riche, très variée et souvent dramatique. La poésie est un langage qui nous permet d’atteindre l’essence des choses. Le roman, lui, peut prendre en charge l’expérience de vie dans tout son foisonnement, toute sa complexité, l’élucider et par un long développement atteindre la signification.

 

En janvier 2002, vous publierez votre deuxième roman, L’éternité n’est pas de trop, l’histoire, comme dans le premier, d’une passion entre un homme et une femme, passion comme miniaturisée dans le tumulte des événements. Contrairement au précédent roman, celui-ci se déroule à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. Pour quelle raison avez-vous choisi cette période?

F.C. C’est une époque féconde en bouleversements, en bouillonnements. L’Occident arrive avec les premiers missionnaires jésuites, l’effondrement de la dynastie Ming est imminent. Les époques de grandes passions, celle d’Abélard et Héloïse, de Tristan et Iseult, de la Béatrice de Dante et de la Suzanne de Holderlin sont aussi des époques marquées par l’élan, la quête, l’idéalisation, la recherche spirituelle, toutes choses qui permettent à la passion d’être sublimée. Ce que raconte ce roman, c’est l’histoire d’une passion tardive fondée sur le cœur et les sens mais qui relève aussi de l’esprit.

 

Dans vos deux romans la passion est transfigurée par le féminin…

F.C. Contrairement à l’Occident qui privilégie le yang, c’est-à-dire le masculin, la force, la conquête de la matière, la pensée chinoise privilégie le féminin. Le yin y est comparé à une vallée qui est à la fois lieu de réceptivité, de fécondité et de transformation. Parfum, lumière, écho, reflet: comme dans le val l’arbre en poussant joue avec la rosée et le vent, comme l’eau du ruisseau s’évapore, devient brume puis nuage, lequel retombe en pluie et vient réalimenter la source, la femme transforme à l’infini. Ce qu’il y a de plus beau dans la création artistique c’est justement cette part féminine, cette musique qui n’en finit pas de chanter.

Et le souffle devient signe

François Cheng

L’Iconoclaste