La règle de Saint François
La règle de saint François
Les règles religieuses. « La Croix » revient sur ces textes anciens qui ordonnent le quotidien de milliers de religieux, inspirant aussi de nombreux laïcs.
Qui est-il ?
Giovanni di Pietro Bernardone, autrement dénommé François d’Assise (1181-1226), n’est autre que le saint le plus célèbre de l’Église catholique. Qui ne connaît ce diacre, fondateur de l’ordre des Frères mineurs plus connu sous le nom d’ordre franciscain, canonisé dès 1228 par le pape Grégoire IX (1227-1241) ? Converti après avoir entendu le Christ lui demander de « réparer son Église en ruine », ce fils aîné d’une riche famille marchande, en Ombrie, devient très vite un priant pauvre et joyeux, empli d’un amour sans borne pour la Création.
Ce qui est, en revanche, moins connu, c’est que ce « second Christ » n’a nullement eu l’intention de fonder un ordre religieux. « Il voulait juste réunir autour de lui des frères pour annoncer l’Évangile. Or, en Europe, la plupart des mouvements évangéliques semblables à ce qu’il voulait vivre (Vaudois, etc.) avaient été condamnés par le pape Lucius III (1181-1185). L’évangélisation était en effet alors réservée aux clercs », explique frère Luc Mathieu, ancien provincial des franciscains de la Province de Paris. Ce théologien, spécialiste de l’histoire de son ordre et de sa théologie spirituelle, aujourd’hui âgé de 92 ans, qui fut également missionnaire au Vietnam, poursuit : « Le pape Innocent III (1198-1216), lui, a voulu réconcilier ces mouvements avec l’Église. François a donc profité de ce contexte pour aller lui présenter son projet de vie. Mais le pape lui a demandé de revenir le voir quand ils seraient plus nombreux autour de lui. »
Quelles sont les spécificités de sa règle ?
En 1209, les frères qui se rassemblent autour de François sont 12. En 1217, ils sont… 5 000. Pour éviter des conflits de personnes et tenir compte des exigences canoniques de l’Église, François se résout à leur donner une règle de vie promulguée en 1221, lors de la Pentecôte. Mais cette règle, « texte admirable, spirituel » selon frère Mathieu, aujourd’hui appelée Regula prima, ne peut être approuvée par Rome car elle n’est pas assez juridique. En 1223, François se retire donc à Fonte Colombo, sur le conseil du cardinal Hugolin, protecteur de l’ordre et futur pape Grégoire IX, pour reprendre la rédaction. La règle est approuvée par la bulle Solet annuere du pape Honorius III (1216-1227). Elle est en conséquence nommée Regula bullata. Ce texte du Moyen Âge est toujours en vigueur, après avoir connu plusieurs actualisations.
Règle juridique, « elle reste cependant très évangélique », selon frère Mathieu : « La nouveauté est son insistance sur la fraternité et la pauvreté afin de rencontrer quiconque comme un frère, quelles que soient ses origines sociales, sa religion, etc. » Ce qui se traduit par un rapport à l’argent radical. De fait, dans le quatrième chapitre intitulé « Que les frères ne reçoivent point d’argent », François défend « rigoureusement à tous les frères de recevoir, en quelque manière que ce soit, des deniers ou de l’argent, soit par eux-mêmes, soit par personne interposée » : « Cependant pour ce qui concerne les besoins impérieux des malades et les vêtements des autres frères, que les ministres seulement et les custodes en prennent grand soin, (…) ceci toujours excepté, comme il a été dit, qu’ils ne reçoivent ni deniers ni argent. »
Et deux chapitres plus loin, il insiste avec force : « Que les frères ne s’approprient rien, ni maison, ni lieu, ni quoi que ce soit. Et comme des pèlerins et des étrangers en ce monde, servant le Seigneur dans la pauvreté et l’humilité, qu’ils aillent avec confiance demander l’aumône ; et il ne faut pas qu’ils en aient honte, car le Seigneur s’est fait pauvre pour nous en ce monde. »
Qui s’inspire de cette règle aujourd’hui ?
En ce début de XXIe siècle, plusieurs dizaines de milliers de personnes, membres de la famille franciscaine, vivent de la règle de saint François. Au premier rang desquels figurent les frères du premier ordre franciscain divisé actuellement en trois branches, correspondant à plusieurs réformes au cours des siècles : frères mineurs franciscains, franciscains conventuels et capucins. Soit environ 28 000 personnes dans le monde dont environ 350 en France.
Le deuxième ordre franciscain, né avec sainte Claire d’Assise (1193-1253) et les femmes qui se sont intéressées à sa règle inspirée de celle de saint François, connues sous le nom de clarisses, compte plus de 10 000 personnes dans le monde dont 500 en France. Quant au troisième, il réunit les nombreux laïcs, hommes et femmes, qui suivent une règle inspirée par la spiritualité de François. Cette dernière a été recomposée sous Paul VI pour tenir compte de l’enseignement de Vatican II sur le statut des laïcs dans l’Église.
En quoi est-elle actuelle ?
La vie et l’expérience spirituelle de saint François, codifiées dans la règle de 1223, ont beaucoup inspiré l’Église catholique, notamment et peut-être surtout au sujet de la fraternité. « C’est cet aspect-là qui est le plus actuel à mon sens, relève frère Mathieu. Parce que nous sommes dans un monde divisé, violent, de domination des uns par les autres. Nous avons là une règle de paix dans laquelle tout le monde est considéré comme un frère. »
Le très contemporain mouvement Sant’Egidio (1) s’est, par exemple, inspiré de cette forme de vie pour promouvoir une paix fraternelle, avec la volonté affichée d’aller à la rencontre des personnes ou des groupes pris dans des conflits apparemment insolubles.
Premier pape à adopter le prénom de François, Jorge Bergoglio s’inspire de l’humble vie fraternelle et de l’esprit de pauvreté du Poverello d’Assise, notamment pour appeler à simplifier les relations entre les chrétiens, mais aussi à humaniser les structures sociales par un retour à l’esprit de l’Évangile. Dans l’introduction à son encyclique Laudato si’(n. 9), il écrit : « J’ai pris son nom (François) comme guide et inspiration au moment de mon élection en tant qu’évêque de Rome. Je crois que François est l’exemple par excellence de la protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale, vécue avec joie et authenticité. (…) En lui, on voit à quel point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure. »
Jacques Tyrol
La Croix le 18/11/2017