Cinq méditations sur la mort
La mort est le seul sujet qui nous taraude tous. Car nul n’y échappera et nul ne peut s’abstraire d’y réfléchir. Notre mort, qui viendra à son heure, cette certitude au calendrier aléatoire. Celle des autres, qui nous plonge dans l’affliction et dont il faut nous relever (« faire son deuil »). La mort, même, de l’univers entier, car le cosmos où nous ne sommes, comme disait Pascal, qu’un « ciron » , finira dans une écrasante apocalypse de lumière. Ainsi que toute notre œuvre, et tout le tremblement de nos pauvres « créations » temporaires. Dans une annulation de tout souvenir de nos vies éphémères.
Sauf les buses matérialistes qui ne voient la vie que du côté des plaisirs, des moments d’excitation, des soucis de domination et d’accumulation, aucun être humain, dès lors qu’il est né, n’est en mesure de passer à côté du sujet. Depuis que les hommes sont là, donc depuis qu’ils se savent mortels, ils s’interrogent. Ils se demandent comment surmonter le mystère de cette disparition finale. Ils tentent de deviner l’après : néant ou éternité ? Nul défunt ne peut les y aider car personne n’est jamais revenu de l’autre côté du rideau pour raconter comment cela se passe.
Restent, pour nous accompagner sur le chemin des doutes et des questions, les philosophes, les poètes, les mystiques, les religions. Point de réponse définitive, qui fasse l’accord de tous. Cela se saurait ! Mais des tentatives, des approches, des méditations, des flottements de l’esprit et des frôlements de l’âme. C’est que la mort n’a pas à se démontrer ni à se démonter, comme un mécanisme d’horlogerie. Elle est là… de toute éternité. S’en détourner serait vaine magie, s’affoler de son caractère inéluctable serait paralysant. Il faut penser la mort. Sans s’imaginer que nous lèverons totalement les doutes.
Le dernier petit livre de François Cheng, qui nous avait donné il y a quelques années le magnifique essai intitulé Cinq méditations sur la beauté , succès de librairie considérable, s’attaque cette fois à partie encore plus redoutable avec ses Cinq méditations sur la mort. Il le fait à sa manière habituelle qui est de conversation plus que de cours magistral, de succession de remarques de bon sens, de citations ou de sensations. Cela donne un livre d’une incroyable profondeur, sans pour autant que l’auteur ait la prétention de faire le tour d’un sujet qui épuise assez vite les ambitions de la connaissance humaine.
L’originalité de François Cheng – qui sait bien qu’il n’est pas le premier à avoir choisi ce redoutable sujet de méditation – est double. D’abord dans la manière d’aborder la question, en retournant la réflexion, en partant de la fin, de la mort, pour y lire une manière d’éclairer ce qui l’a précédée, à savoir la vie. La mort envisagée – « dévisagée », écrit-il –, dans son rapport à la vie, comme élément de celle-ci, moment de celle-ci, dans un continuum d’existence. Il n’y a pas de sa part lecture désespérée de l’« absurde » ou du « scandale » mais positionnement serein de la mort dans un processus de continuité, en somme d’éternité de la vie. La mort valorise la vie, don suprême.
Pour l’aider dans cette sagesse, car François Cheng, à l’âge qui est aujourd’hui le sien (il est né en 1929), est en mesure de savoir que les échéances se profilent à l’horizon, pour l’aider, donc, il bénéficie de la double culture qui est la sienne entre la sagesse chinoise de la voie, par le taoïsme, puis le bouddhisme, associée à la culture judéo-chrétienne et « christique » qui est la sienne depuis son installation en France il y a quatre décennies. Ces cultures ont en commun de tracer un sens, à la vie comme à la mort. Toute vie est comme un fruit qui, ayant mûri, finit par tomber sur le sol où il va devenir l’agent d’une renaissance, d’une résurrection. Rien ne s’achève donc.
Chaque phrase de François Cheng, chaque poète dont il cite les œuvres, de Shelley à Rilke, soutient une méditation apaisante, à lire au grand calme du soir. Quand le lecteur s’arme d’un crayon pour cocher les formules qui lui agréent, le font rêver ou espérer, il ne tarde pas à se rendre compte qu’il pourrait tout souligner ! C’est le propre d’un grand livre (même si petit par la taille) d’entraîner le lecteur dans les chemins de l’évidence : mais oui, c’est bien à cela que je crois, c’est bien cela que je ressentais confusément. Il éclaire notre route, notre destin « illisible » avec des notations sans prétention, comme autant de falots secoués par la tempête de l’existence.
Tout vivant (tout « mortel »…) devrait lire ce superbe ouvrage en y mettant son cœur, son esprit et son âme. Une leçon d’une grande modestie et d’une vraie profondeur. Cela nous change de tant de livres qui paraissent obsédés par l’idée de durer une « saison » quand celui-là est fait pour illuminer toute une vie.
BRUNO FRAPPAT
CINQ MÉDITATIONS SUR LA MORT de François Cheng Albin Michel, 172 p. 15 €
Merci cher Bruno FRAPPAT de ce bel article sur le dernier ouvrage de François Cheng. Permettez-moi de vous signaler la parution en même temps d’un autre petit ouvrage de François Cheng : « ASSISE » Albin Michel, 2013, (mais paru en 2012 dans Etudes Franciscaines ), dont l’importance et la portée me semble aussi grande que celui dont vous faites aujourd’hui un si bel éloge.
Dans cet autre « petit livre » plutôt que de méditer sur la mort, François Cheng nous révèle sa re-naissance en Occident et sa naissance au christianisme – grâce à sa rencontre avec François d’Assise – d’où le choix de son prénom, au moment de sa naturalisation, en nous donnant par le même scoup la profondeur du sens de son choix de devenir français … Vous avez raison de dire que chacun de ses mots a la profondeur qui donne sens à la vie comme à la mort.
Savez-vous que ce sont justement pour ces qualités que vous relevez si subtilement que nous l’avons associé depuis plus de trois ans dans une exposition qui circule en France et en Europe ? Cette Exposition – aujourd’hui plus d’actualité que jamais avec la visite du Pape François à Assise, -« Ensemble, construisons la Terre », réunit Teilhard de Chardin à François, – les deux François, celui d’Assise et François Cheng, – justement pour ces mêmes raisons. Elle cherche à porter témoignage pour les jeunes de la nécessité de la recherche de sens. Ce mot magnifique auquel François Cheng a conféré toutes ses lettres de noblesse en disant :”Le diamant du lexique français, pour moi, c’est le substantif “sens”. Condensé en une monosyllabe – sensible donc à l’oreille d’un Chinois – qui évoque un surgissement, un avancement, ce mot polysémique cristallise en quelque sorte les trois niveaux essentiels de notre existence au sein de l’univers vivant : sensation, direction, signification.” François Cheng, Dialogue, DDB, 2002
Merci cher Bruno FRAPPAT de nous aider à aller à l’essentiel avec François Cheng !
Remo VESCIA
vesciaremo@gmail.com
Paris, le 3 octobre 2013
Commissaire de l’Exposition
Président honoraire du Centre Européen Teilhard
www.teilhard-international.com
Complément d'information
"Cinq méditations sur la mort" primé au Salon du Livre de Paris 2014
François Cheng a reçu le prix des écrivains croyants
Pour cette dernière journée du Salon du livre, le stand des éditions Albin Michel a accueilli l'écrivain François Cheng, venu recevoir le prix des écrivains croyants. Décerné pour son dernier livre Cinq méditations sur la mort : autrement dit sur la vie , le prix a récompensé un ouvrage qui est une « une méditation sur le temps, l'éternité, et le silence ».
Membre du jury, l'écrivain Colette Nys-Mazure a fait la connaissance de l'auteur en 2002, à la Maison des écrivains. « Un vote unanime a élu François Cheng », commente-t-elle. « C'est un homme qui n'a aucune vanité; ce n'est pas du tout la machine à distribuer des éloges, ou la société d'admiration mutuelle. C'est un sage, un homme qui va décaper ses phrases de tout ce qui n'est pas essentiel, sans pour autant en tuer l'émotion. »
Le directeur du jury, Christophe Henning a quant à lui salué « un livre précieux pour le lecteur, la littérature et la pensée ». « Vous vous délestez du "tout tout de suite", de l'agitation de notre société… » François Cheng a dignement remercié l'assemblée, s'avouant « touché, honoré, et impressionné » qu'un jury composé de tant de courant religieux lui décerne le prix. « Moi même je ne suis jamais défini comme un croyant. Plutôt comme un perpétuel quêteur de vérité, un adhérant à tout ce qu'il y a de beau et de vrai. En me décernant ce prix, vous avez cru à la sincérité de mes paroles… Merci. »
Premier écrivain d'origine chinoise à avoir été reçu à l'Académie Française, François Cheng avait reçu le prix Femina en 1998 pour son roman Le Dit de Tyanyi. Rappelons que le prix des écrivains croyants a été fondé en 1979. Réunissant au sein d'un même jury des auteurs de confessions juive, chrétienne et musulmane, il porte son attention sur les romans ou les essais marqués d'une réflexion spirituelle.