Présentation de l’exposition
St FRANÇOIS d’ASSISE, TEILHARD et FRANÇOIS CHENG
par Remo Vescia
Le sens des êtres et des choses se découvre mieux dans la confrontation, la comparaison et le dialogue. Mettre en perspective Teilhard et François d’Assise ce n’est diminuer ni l’un ni l’autre, mais au contraire, faire mieux ressortir l’originalité de leurs personnages inspirés, à sept siècles d’intervalle, par la même Présence, celle du Christ, fils de Dieu, Verbe fait Chair.
Pierre Teilhard de Chardin et François d’Assise sont animés du même amour du Christ et de son Évangile, de l’être, de la vie, du cosmos qu’ils expriment dans des poèmes de Louanges et de Prières qui chantent la Création et les créatures, la Matière et à travers eux, l’amour de Dieu et de son Fils, Jésus le Christ.
Ceci n’enlève en rien la singularité des deux religieux, nés à des époques éloignées et si différentes, parlant des langues différentes, mais dotés d’une même intelligence du monde éclairée par le même Souffle divin. C’est cela qui donne sens à leurs vies, avec les mêmes vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, dans une humilité christique illuminée par l’amour de la création et de l’humanité. Celui qui ne comprend pas cette unité mystique ne peut comprendre ni François ni Teilhard, ces deux grands chrétiens pour lesquels, uniment « l’affaire unique du Monde, c’est l’incorporation physique des fidèles au Christ qui est à Dieu. Or, cette œuvre capitale se poursuit avec la rigueur et l’harmonie d’une évolution naturelle. »
Il y a de profondes analogies entre leurs vies et la riche diversité des deux spiritualités, franciscaine et ignatienne, communiant dans un même amour du Christ et de la Croix, de l’Univers vénérés par une seule et même Eglise. Dans une même vénération Mariale également, partagée par François dans sa Salutation de la Vierge Marie et par Teilhard dans l’Éternel Féminin, Marie, le féminin qui illuminera leurs vies consacrées à Dieu au Feu de la chasteté. Ici paraissent les figures aussi bien de Ste Claire que de Ste Angèle de Foligno ainsi que les nombreuses femmes – sa mère, ses sœurs, sa cousine, ses amies et correspondantes, pour Teilhard – qui ont accompagné et éclairé la vie de ces deux hommes illustres.
Dès le premier grand texte teilhardien – La Vie Cosmique, (1916). réuni dans les Ecrits du temps de la Guerre, – figure déjà « la note unique que rendait la viole de l’Ange et qui ne lassait pas St François » Un an plus tard, toujours écrit dans les tranchées, Le Milieu Mystique (1917) dans sa conclusion Teilhard demande à St François d’Assise et à la bienheureuse Angèle de Foligno, la clé qui lui ouvrira les portes de l’authentique vie mystique :
« Tous ceux qui sont admis à la vision de Jésus ne parcourent évidemment pas dans leur ordre les phases que j’ai comptées. Mais s’ils analysent leur passion du Divin, ils verront qu’ils ont franchi les Cercles, et que leur amour est au centre. Ils reconnaîtront notamment le rôle de l’Objet sensibilisateur, qui échauffe pour la Charité, et les vastes Réalités cosmiques, qui donnent à Dieu son être tangible et palpable ici-bas. Nul ne comprendra, je pense, ni saint François, ni la Bienheureuse Angèle, ni les autres, s’il n’a profondément compris que JÉSUS DOIT S’AIMER COMME UN MONDE.
Pierre Teilhard de Chardin se posait la question: “Quel sera donc, enfin, le chrétien idéal, le chrétien à la fois nouveau et ancien, qui résoudra en son âme le problème de l’équilibre vital, en faisant passer toute la sève du monde dans son effort vers la divine Trinité?” Et dans La Messe sur le monde, il écrivait: “Celui qui aimera passionnément Jésus caché dans les forces qui font grandir la terre, la terre maternellement le soulèvera dans ses bras géants, et elle lui fera contempler le visage de Dieu. »
François d’Assise mieux que quiconque semble avoir réalisé cet idéal. Dans sa présence au monde, il réconcilie l’élan surnaturel du christianisme et l’enthousiasme cosmique. Et il le fait avec une extrême simplicité: en retrouvant dans le Christ la douceur du Créateur. Le christianisme de François, comme celui de Teilhard, a une plénitude et un éclat inégalés. Une plénitude et un éclat cosmiques. Le surnaturel n’écrase pas le naturel ; il ne refoule pas à l’arrière-plan. Bien au contraire, il s’ouvre aux parfums et aux saveurs de la terre, à la beauté du monde, aux sèves montantes de la vie et du désir. François et Teilhard ne rejettent rien. Chez eux l’ascétisme le plus poussé laisse intactes les forces de la vie et du désir : ces forces ont acquis la limpidité des sources et l’éclat de la lumière, sans rien perdre de leur ardeur. Et parce qu’ils sont infiniment respectueux de la vie, jusque dans ses formes les plus humbles, ils accueillent tous les hommes sans exclusion. Par delà toutes les frontières ils ont retrouvé l’unité de la création. Ils sont ouverts à la grande fraternité humaine. De cette humilité fondamentale, qui fraternise avec toutes les créatures et qui respecte la vie dans ses moindres formes, découlent aussi la paix et la douceur qui caractérisent l’esprit d’Assise. Comment ne pas rapprocher ces rappels d’Eloi Leclerc de notre réflexion sur l’Incarnation et sur la compréhension cosmique (taoîste) de l’homme, par François Cheng. Ceci mériterait une exégèse sur l’unité cosmique de l’homme vue par St François et par Teilhard : il faut une “réconciliation de l’homme avec ses forces obscures, une transfiguration de l’agressivité et de la libido” pour que le Christ puisse “descendre dans nos profondeurs” et que l’on puisse s’exclamer dans la joie avec St François: “Paix sur terre!”.
Teilhard, ainsi que François, vit dans l’émerveillement, dans la grâce de cet appétit de connaître et d’admirer. En l’écoutant ou en le lisant, nous éprouvons un enchantement : un champ illimité de contemplation et une source inépuisable de joie, la jubilation et l’émerveillement de la grâce. La relation de l’homme à l’homme passe par la relation de l’homme à la nature. Celle-ci est fondamentale. Elle n’est pas seulement d’ordre biologique ou économique ou esthétique. Elle est aussi d’ordre moral. Si la relation de l’homme à la nature est vécue sous le signe de la toute puissance, c’est la relation de l’homme à l’homme qui s’en trouve elle-même menacée.
On peut invoquer tous les droits de l’homme que l’on voudra, ceux-ci ne seront pas respectés si la relation de l’homme à la nature ne s’épanouit pas dans le respect de la vie et des créatures, dans un état de grâce. C’est bien ce à quoi nous invitent S. François et Teilhard ici et maintenant. Ensemble Construisons la Terre dans la Paix et l’Amour !
Mais Teilhard a développé quelques intuitions neuves dignes d’attention et de réflexions qui se joignent logiquement aux idées qu’il avançait dans le domaine christologique. Présentée schématiquement, la suite des idées de Teilhard revient à ceci : dans la perspective d’une évolution du type convergent devant être achevée par la libre collaboration de l’homme, le travail, la science et la technique acquièrent une signification exceptionnelle et doivent être considérés par l’homme comme un devoir suprême et une mission sacrée. Le travail, la science et la technique sont nécessaires à l’ascension de l’homme dans la direction d’une unité et d’une spiritualisation toujours grandissantes. Pour le chrétien, une nouvelle dimension vient cependant s’y ajouter. Car si nous acceptons que le Christ constitue le sommet de toute la création et que tout doit trouver en Lui son achèvement et son couronnement, il en résulte que le monde en entier se manifeste par un caractère sacré et que tout ce qui contribue à l’épanouissement futur de la création est orienté intrinsèquement vers le Christ. Prenant en considération le rôle exceptionnel tenu par le travail, la science et la technique à ce propos, il s’ensuit qu’ils constituent pour l’humanité une condition essentielle, nécessaire à l’édification du Royaume de Dieu.
Nécessaire parce qu’ils remplissent une fonction irremplaçable dans les desseins de Dieu. Dans son amour du Christ le chrétien trouvera ainsi un nouvel encouragement à militer en faveur du progrès, de la culture et du meilleur accomplissement du travail. Il s’agit pour nous de Construire, de Partager et de Protéger la Planète Terre avec des connaissances jamais atteintes auparavant.
Cette conception de Teilhard sur la valeur du travail humain ne constitue que la conséquence logique de sa christologie : « Dire que le Christ est terme et moteur de l’Évolution… c’est reconnaître implicitement qu’Il devient attingible dans et à travers le processus entier de l’Évolution ». (super-humanité, super-Christ, super-charité, 1943). Celui qui l’approfondit jusqu’au bout apercevra vite combien elle peut être fructueuse pour une nouvelle rencontre entre le christianisme et le monde moderne. Teilhard ne demandait rien d’autre que d’intégrer la vision du monde moderne aux dimensions prodigieusement agrandies dans la théologie chrétienne. Il rendait aux chrétiens, à l’heure où le christianisme semblait n’être plus contagieux, la fierté d’être les témoins du Christ ressuscité. Dans les rares occasions où il a pu s’exprimer, sa parole avait un retentissement inouï. Il suffit de se reporter aux témoignages de ses contemporains, de ses correspondants, de ses amis.
Homme de synthèse et de la perspective, Teilhard a une vision totale incluant les sciences, la philosophie et la religion. Il est sans doute un des plus grands écrivains, poète et penseur spirituel de notre temps, qui a approfondi notre intelligence du mystère du monde. Il contribue ainsi à l’avènement d’un type d’homme nouveau. Le but et le sommet de la pensée Teilhardienne est la volonté d’intégrer dans sa synthèse scientifique, la religion et la mystique. Aussi son influence ne cesse-t-elle de croître et de s’étendre. Voyez vous-mêmes!
Comprendre, c’est situer chaque réalité dans un ensemble qui lui confère une signification. Il n’y a de sens que dans le TOUT. Penser, c’est saisir la cohérence du réel comme un tout unifié. C’est pourquoi, comme dit François Cheng, le mot sens est ce vocable extraordinaire qui nous donne dans sa polysémie ( la sensation, la direction et la signification ) les trois niveaux vitaux de convergence d’énergie vers l’unité nécessaire pour aller de l’avant, pour progresser, et pour s’élever comme nous sommes invités à le faire uniment, avec notre corps, notre intelligence et notre âme : “Entre ciel et terre, l’homme éprouve par tous ses sens le monde qui s’offre. Attiré par ce qui se manifeste de plus éclatant, il avance. C’est le début de la prise de conscience de la Voie. Dans celle-ci toutes les choses vivantes qui poussent irrésistiblement dans un sens, depuis les racines vers la forme du plus grand épanouissement, semblent traduire une intentionnalité celle même de la Création. D’où le lancinant problème de l’homme pour la signification qui est le sens de sa propre création, qui est de fait la vraie “joui-sens”.