Dimensions cosmiques par Prospero Rivi

LES DIMENSIONS COSMIQUES DU CHRIST CHEZ BONAVENTURE ET TEILHARD DE CHARDIN
De fr. Prospero Rivi OFM Cap

 

En confrontant la vision de l’homme chez Bonaventure et Teilhard de Chardin[1], je suis conscient de la hardiesse d’un rapprochement entre deux personnalités si éloignées dans le temps et donc aux prises avec des contextes culturels très différents. Mais si je propose un tel rapprochement c’est parce que, dans la fréquentation assidue de ces deux auteurs[2], j’ai entrevu les points de rencontre et les analogies que je souhaite mettre en évidence dans cette nouvelle contribution.

 

Qui est Bonaventure ?

Giovanni Fidanza naît en 1217 à Civita di Bagnoregio, il prendra le nom de Bonaventure en entrant à 26 ans dans la famille franciscaine. Arrivé à Paris vers 1235, il est disciple d’Alexandre de Hales, qui au sommet de sa carrière universitaire devient franciscain. Le jeune étudiant italien, par fidélité, adhère à l’orientation théologique de la tradition augustinienne de son maître.

Maître en théologie sacrée, Bonaventure enseigne à la prestigieuse chaire franciscaine de Paris. Entre 1250 et 1256 il écrit un monumental Commentaire des quatre Livres des Sentences de Pietro Lombardo, auquel succèderont des ouvrages théologiques et mystiques comme le Breviloquium et l’Itinéraire de l’esprit en Dieu, de 1259. Elu ministre général des Franciscains en 1257, service pour lequel il sera confirmé tous les trois ans pendant plus de 17 ans, il imprime à l’effervescente communauté des frères une orientation doctrinale et disciplinaire sûre. Bien que devant visiter périodiquement toutes les 30 Provinces de l’Ordre, il garde Paris – principal foyer de la culture occidentale – comme siège habituel et de là il continue à animer avec une participation active le grand débat qui s’allume dans ces années-là avec l’arrivée dans cette université de la pense d’Aristote. En 1270, il est fait cardinal et accompagne le Pape Grégoire X au concile de Lyon, où il meurt le 15 juillet 1274. Il a laissé une empreinte profonde tant dans le mouvement franciscain que dans la pensée médiévale.

Avec Bonaventure entre donc en scène la première des quatre grandes figures qui pendant un demi-siècle occuperont et rempliront la scène de la philosophie et de la théologie médiévales, laissant très peu de place aux autres penseurs qui en d’autres temps auraient attiré une plus grande attention. A côté de Bonaventure, il y a deux dominicains et un autre franciscain : St Albert le Grand, St Thomas d’Aquin et le bienheureux Jean Duns Scot. Nous sommes à l’apogée de la Grande Scolastique.

Bonaventure s’est formé et a agi dans la période de la « seconde génération franciscaine ». Si la première, galvanisée par la présence physique et spirituelle de François, fut caractérisée par la pauvreté rigoureuse, la simplicité de vie et de témoignage, la seconde ressentit le besoin d’une formation théologique approfondie, pour éviter des dérives hérétiques en son sein, et offrir au peuple une prédication plus solide. Il n’est pas le premier théologien de l’Ordre franciscain, ni même la seule figure éminente de son Ordre, mais il est certainement le plus représentatif et le plus influent. Si on ne peut pas dire que Bonaventure est le père de l’école franciscaine, il en est de fait son chef de file. Chez lui, plus que chez Alexandre de Hales, se réalise complètement la transmission dans l’étude de la théologie des charismes du Saint d’Assise : le charisme de la pauvreté, de la charité, de la paix, de l’amour pour les créatures, de l’imitation du Christ jusqu’au partage des signes de la passion.

Amoureux de Christ, de la Trinité et du Bien, Bonaventure a en effet une rare capacité à saisir l’unité, la cohérence, la beauté de la vision chrétienne du monde, de l’histoire et de la vie, et il sait les présenter avec une chaleur et une passion qui nous les font aimer et désirer. Jamais polémique, il est littéralement « édifiant » parce que « tout séraphique en ardeur » : conquis comme Paul par la beauté divine du Verbe, il pousse le lecteur à s‘ouvrir à la même expérience d’amour. Il sait rendre attirante la conversion au Seigneur en la présentant d’abord comme une « reddition à son amour ». Une conversion qui est soutenue par la Grâce et qui a deux parcours privilégiés : rester aux pieds du Crucifié et être « homme de désir », en cultivant et en orientant correctement la soif de plénitude qui est inscrite dans notre cœur et qui tend à devenir avec le péché un désir désordonné. La valeur la plus haute à laquelle Bonaventure nous pousse à ouvrir notre esprit et notre cœur est l’amour de Dieu qui s‘est révélé pleinement dans la Croix du Christ : le Christ crucifié doit devenir de plus en plus l’apogée de nos désirs, afin que notre cœur s’ouvre à l’amour agapê et devienne capable de sollicitude prévenante envers les lépreux que nous rencontrons sur notre chemin. C’est ce qu’a fait François que Bonaventure présente toujours comme le modèle parfait du « pèlerin de l’Absolu[3] », le « pauvre » par excellence qui a ouvert un nouveau parcours de ‘suivance’ du Seigneur en en ravivant les empreintes dans le désert de l’Eglise de son temps. En ouverture du premier chapitre de son Itinerarium nous trouvons ce titre : Incipit speculatio pauperis in deserto ( ainsi commence la recherche des signes de la présence de Dieu par le pauvre dans le désert), et c’est François l’exemple sublime du « chercheur de Dieu dans le désert de ce monde ». Chez Bonaventure Saint François a trouvé l’interprète le plus fidèle et le plus autorisé de sa spiritualité au niveau théologique.

 

Deux personnalités d’envergure exceptionnelle

Je ne veux pas m’arrêter sur la figure et la pensée de Teilhard de Chardin, que je donne pour connues et aujourd’hui faciles à reconnaître partout. Je voudrais proposer en revanche une confrontation entre les deux penseurs et les deux époques où ils ont vécu ; entre les défis qu’ils rencontraient et les réponses qu’ils ont voulu leur apporter.

Voici quelques notes relatives à cette confrontation inédite entre ces deux géants :

  1. Avec Bonaventure et Teilhard de Chardin nous sommes face à deux personnalités d’envergure exceptionnelle, sur le plan des qualités humaines comme sur celui de la fidélité à leur vie consacrée :
  • Intelligence tournée vers la synthèse et recherche passionnée d’une vision d’ensemble qui confère un sens unitaire à tout le devenir cosmique (macrocosme) et garantisse en particulier la dignité de l’homme (microcosme).
  • Bonté d’âme, simplicité de cœur, zèle apostolique : il a été dit des deux … qu’ils ne semblaient pas avoir péché en Adam[4].
  • Délicatesse/amabilité rare dans les relations humaines : qui s’approchait d’eux se sentait tout de suite attiré par la finesse/gentillesse de leur attrait.
  • Enorme bagage culturel, fruit d’une longue formation académique en différents domaines du savoir (pour Bonaventure : Maître des Arts, puis de philosophie et théologie, doctorat en Ecriture Sainte. Pour Teilhard : tout le long iter d’études philosophico-théologiques propre aux Jésuites, plus le doctorat en géologie et paléontologie à Paris)
  • Tous deux sont des artistes de la parole ; pas de froids exposants d’idées, mais des passionnés et brillants communicateurs de valeurs, grands érudits et poètes raffinés[5]; tous deux mystiques de haute qualité.
  1. Pour tous les deux, leur centre d’intérêt est la question anthropologique et l’engagement à faire en sorte que le futur de l’homme reste orienté dans la bonne direction. Pour eux deux c’est l’ouverture ou la fermeture à la transcendance qui décide de l’issue favorable ou défavorable du défi anthropologique : si la vie de l’homme ne reste pas ouverte à l’infini, il finira par se sentir comme « un paquet sans valeur que la sage-femme envoie au croque-mort », comme le fredonnait amèrement dans les années 20 le grand comique romain Petrolini. En effet, « si l’histoire humaine n’est pas nourrie d’éternité, elle devient simplement zoologique[6]».
  2. Mais pour eux deux, chaque transcendance ne peut pas offrir une base solide à la dignité de l’homme. Seul le christianisme a les caractéristiques pour pouvoir le faire.

Pour Bonaventure, qui se situe dans un contexte culturel encore imprégné de valeurs chrétiennes, l’ouverture à la Lumière du Verbe est la condition préliminaire pour pouvoir lire correctement l’homme comme l’univers.

Pour Teilhard de Chardin, pour comprendre correctement la spécificité de notre espèce il faut être ouvert à une lecture de « tout le phénomène humain » pour voir comment il est profondément enraciné dans le devenir de l’homme, dont il est dans le même temps le point d’arrivée (non plus centre d’un monde statique, mais flèche de l’évolution !) ; Pourtant, à cause de la Loi de complexité/conscience, pouvoir voir comment l’évolution dans son ensemble est un « mouvement vers[7] », et enfin vers ce Point Oméga dont Teilhard mettra en relief la profonde correspondance avec les traits du visage de Celui que la révélation chrétienne appelle le Christ Alpha et Oméga et qui dans l’incarnation est devenu le Moteur capable de pousser l’histoire vers son accomplissement.

  1. Tous deux doivent se confronter à une Raison qui se veut suffisante

Pour Bonaventure, la raison euphorique des averroïstes[8] latins, avec les erreurs de type théologique qui se répercutent ensuite sur l’anthropologie et la cosmologie : négation de la transcendance personnelle de Dieu, négation de la création et de la temporalité du monde et aussi de son destin eschatologique, affirmation de l’Intelligence Unique et en conséquence négation de la responsabilité personnelle et d’une rétribution éternelle pour les individus…

Pour Teilhard de Chardin, d’abord la raison euphorique aussi du positivisme et du marxisme, puis celle, tragique, du nihilisme nietzschéen et de l’existentialisme sartrien.

  1. Tous deux sont lucidement conscients d’être aux prises avec les défis de leur époque, qu’ils affrontent avec une passion et un engagement de toute leur vie et qui les voit utiliser au mieux les énormes instruments culturels dont ils disposent.

Tout l’effort de Bonaventure penseur est orienté à contenir la diffusion de la vision immanentiste de la « philosophie naturelle » d’Aristote, qu’il connaissait et appréciait, mais seulement comme « physique », dont l’autorité se limite à l’étude de la nature ; alors que c’est à Platon que reviendra le nom de philosophe et d’  « esthéticien » de la sagesse, seul Augustin ensuite les possède toutes deux (sermo scientiae et sapientiae).

C’est justement le souci de sauver la dignité de l’homme, sa spécificité dans l’échelle des êtres, qui pousse Bonaventure à mener cette bataille contre l’averroïsme des Maîtres parisiens. Dans les Collationes in Hexaemeron surtout (une série de conférences sur les six jours de la création tenues devant tout le monde académique parisien au printemps1273) se multiplient ses appels à maintenir la centralité du Christ Maître unique et les mises en garde contre les dangers d’une philosophie qui – en se fermant à la lumière de la Révélation – veut donner des réponses pertinentes aux grandes questions sur le sens de la vie et de l’histoire qui sourdent inéluctablement dans le cœur de l’homme. Pour Bonaventure cette orgueilleuse présomption d’autosuffisance conduira à une impasse où la raison humaine, laissée seule, n’aura plus aucune direction parce qu’elle ne peut pas connaître un dessein qui, dans son ensemble, ne peut lui être révélé que par Celui qui l’a projeté[9].

La prévision de Bonaventure n’est-elle pas en train d’être avérée de façon bruyante dans notre temps ? Après les saisons euphoriques des idéologies qui ont caractérisé l’époque moderne et se proposaient comme « pensées fortes » pouvant indiquer un sens et une fin (Cf. La fin des récits de Lyotard[10]), nous sommes maintenant, et depuis plusieurs décennies, dans la postmodernité où triomphe la « pensée faible », à savoir la prise en acte de l’incapacité de la raison humaine de donner un sens à la vie et à l’histoire, puisqu’il y a une seule certitude : la victoire de la mort sur tout… Si aujourd’hui la philosophie ne semble plus en mesure d’offrir des réponses pertinentes à la recherche de la raison, celle-ci trouve en revanche des espaces immenses dans les champs de la science et de la technique, où elle peut faire et défaire ce qu’elle veut, en n’ayant pas de limites éthiques à respecter ni de valeurs absolues à sauver. En effet, si tout est fruit du hasard, rien – pas même l’homme – rien ne peut avoir de caractère absolu[11] .

C’est de fait le contexte culturel de Teilhard de Chardin, un contexte où les paramètres de la culture que la tradition nous a enseignée ont tous sauté et l’homme est aux prises avec un sentiment de désarroi jamais éprouvé auparavant. C’est justement sur ce front que Teilhard investit toutes ses énergies, en offrant à l’homme d’aujourd’hui la clé pour donner un sens nouveau à son rôle de flèche de l’évolution et en l’invitant à reconnaître dans le Christ-Oméga le but qui donne sens et valeur à l’engagement de ‘construire la terre comme maison d’une unique et solide famille humaine…

 

A sept siècles de distance, Bonaventure et Teilhard sont les acteurs dans les points extrêmes du divorce entre raison et foi survenu dans la culture de l’Occident chrétien : le franciscain cherche par tous les moyens à éviter ce divorce en en prévoyant et en annonçant avec lucidité les effets néfastes ; le jésuite propose avec une délicate insistance la thérapie pour soigner les graves blessures que ce divorce a déjà causées (l’inquiétude et l’angoisse de qui, ayant perdu l’orientation, se trouve angoissé et sans identité) et il indique dans le retour au Christ-Oméga la lumière qui permet à l’homme de retrouver aussi bien l’orientation (et donc le goût du chemin) que la haute dignité d’acteur responsable de son propre avenir.

 

La culture du XIII° siècle à un carrefour

 

Essayons d’approfondir cet aspect qui rapproche de façon surprenante nos deux auteurs.

A la moitié du XIII° siècle, la culture européenne se trouve à un carrefour :

Rester dans la forte et constante tradition platonico-augustinienne ouverte à la Révélation avec la lumière du Verbe qui éclaire tout l’horizon de l’espace et du temps[12] ;

Ou s’ouvrir à la philosophie d’Aristote, substantiellement fermée à la transcendance et se fiant à la seule raison, arrivée en Europe avec l’interprétation polluée de certains philosophes arabes d’Espagne (le principal est Averroès, par lequel, avec Sigier de Brabant, naîtra à Paris un « averroïsme latin » qui sera la vraie cible de la dénonciation de Bonaventure)[13].

 

Le divorce entre raison et foi, entre recherche philosophique et révélation biblique, a peut-être été la plus grande aventure de la culture occidentale. Comme on l’a dit, Teilhard s’est trouvé à la fin du processus, avec les effets néfastes désormais répandus[14], alors que Bonaventure se trouve au début et fait tout pour le conjurer.

Il prend tout de suite conscience de la gravité de la place en jeu et surtout dans les vigoureuses Conférences sur les six jours de la Création (les 23 Collationes in Hexaemeron de 1273) il dénonce la folie d’un parcours qui, en se fermant à la lumière du Verbe, pousserait à son avis la raison dans une impasse.

il pointe deux erreurs capitales dans la pensée des averroïstes : la négation de l’existence en Dieu des idées exemplaires et l’affirmation de l’éternité du monde. De cette double racine dérivent des données qui sont inconciliables avec la révélation chrétienne et qui sapent à la racine la dignité de l’homme et sa possibilité de trouver un sens à l’histoire dans son ensemble et à la vie des individus :

  1. Dieu ne connaît que lui-même, rien en dehors de soi.
  2. Pour cela Dieu n’a ni prescience ni providence.
  3. Ce qui advient, arrive par nécessité fatale, avec le retour à une vision circulaire du temps que la révélation biblique avait dépassé et qui éteint toute espérance en un avenir de salut.
  4. Il y a une seule intelligence pour tous les hommes : l’homme seul est mortel dans son corps et dans son âme et n’est pas responsable de ses propres actions, dont il n’a à rendre compte à personne.
  5. Il n’ a en effet aucun mérite et aucune faute, aucune récompense ni châtiment après cette vie.

Les Maîtres séculiers qui enseignent la philosophie à l’université de Paris – alors le centre le plus prestigieux de la culture européenne – sont très tentés d’épouser cette vision de la réalité et commencent à penser que, en suivant Aristote, la raison peut conduire toute seule la recherche de réponses pertinentes aux questions de sens que l’homme se pose depuis toujours, et qu’elle peut le faire en faisant abstraction de la lumière de la Révélation.

Pour Bonaventure c’est de la folie : vouloir revenir au IV° siècle av. J.C. (celui d’Aristote) en feignant que Christ n’est pas venu signifie rendre vaine la portée de l’Incarnation. Pour lui, fermer la porte à la lumière de la Révélation signifie condamner la raison à ne plus saisir le sens (et la valeur !) du tout et des individus. Cela est à la fin de son triste appel : ne chassons pas Christ de l’horizon de notre recherche de sens, puisque nous éteindrons la seule lumière qui nous a été donnée pour comprendre d’où nous venons, où nous sommes maintenant et où nous sommes dirigés[15] ».

Bonaventure nous apparaît comme le penseur dont la voix prophétique s’est élevée pour exhorter l’homme moderne, qui naissait à son époque, à cultiver la science mais à ne pas l’absolutiser en transformant le culte de la science en scientisme. Dit avec une terminologie religieuse, il l’exhorte à ne pas transformer la sécularisation en sécularisme, la démythification et la sacralisation en profanation et désaffection, puisque les conséquences seraient dévastatrices.

En cela il n’est pas loin de nous dans le passé, mais plus en avance que nous, il nous montre un futur vers lequel la culture doit s’acheminer pour éviter que la neutralité de la science ne se transforme en une déshumanité. Comme le fera aussi Teilhard, Bonaventure rappelle fort l’attention sur cette partie du réel que la science, justement parce que science, ne veut pas prendre en considération, alors qu’elle est la seule à pouvoir nous ouvrir à la contemplation de vérités qui peuvent nous soustraire à l’abus des choses quand elles deviennent exclusivement domination de la science et de la technique. En bon médiéval, il fait tout cela en réfléchissant à partir de la foi (Teilhard le fera quant à lui en partant de la recherche scientifique) ; mais son avertissement est là pour nous rappeler l’urgence de cette tâche, si nous voulons nous soustraire à la menace apocalyptique qui se profile sur le monde en cette ère atomique et si nous voulons guérir de cette angoisse, dont les résultats deviennent de plus en plus évidents dans le comportement de la jeunesse d’aujourd’hui.

La position de Bonaventure est la réponse au soi-disant averroïsme de son temps[16], qui est comme la matrice historique de la sécularisation actuelle et une préannonce du scientisme d’aujourd’hui (avec sa doctrine du hasard et de la nécessité). Comme on l’a dit, la cible spécifique de Bonaventure est Aristote en tant que négateur de ces idées platoniques que l’exemplarité de Bonaventure a repris avec vigueur et repensé dans le cadre de la foi biblique dans le Créateur. En niant les « raisons éternelles », le sens des choses tombe et à la fin tombe même le sens même de notre exister, lutter et souffrir.

C’est ici que le génie de Bonaventure se rend compte tout de suite de l’attaque déclenchée non seulement contre la vision chrétienne de l’histoire comme « histoire du salut », mais en dernière analyse contre le sérieux de la vie et la dignité de l’homme. Il emploie toutes ses forces pour empêcher le divorce entre raison et foi (en partie admis en revanche par St Thomas). L’issue funeste d’un tel divorce s’est vue dans le chemin tortueux, tâtonnant et confus que la philosophie occidentale a parcouru pendant les siècles suivants. Aujourd’hui nous prenons acte de la faillite de la recherche de sens menée par une raison qui depuis longtemps s’est fermée à la lumière du Verbe : la ‘pensée faible’ est l’humble (ou plutôt l’arrogante) constatation que notre raison toute seule ne peut pas donner une direction (et donc un sens, un but) à un chemin évolutif qui est arrivé jusqu’à nous, mais dont personne ne sait pourquoi il est parti et où il va. Au contraire, on affirme avec force qu’il se dirige nulle part puisqu’il n’y a aucun « dessein », aucune carte qui permette à la raison de s’orienter. Si quelqu’un veut avancer, on lui crie de toutes parts : « Il n’y a aucun but vers où se diriger ! ».

Débarrassé du langage sacral du Moyen Age et des nombreuses images, désuètes pour nous, qui caractérisent la manière de s’exprimer de la scolastique, Bonaventure reste, au contraire, le penseur limpide qui veut garder la recherche des hommes sur la toile de fond d’un horizon positif d’espérance, dont philosophie et religion, en dialoguant, peuvent rendre compte. Les conceptions actuelles d’un monde fortement sécularisé semblent ôter de la vigueur à toute tentative de justification rationnelle à cette espérance. Nous sommes face à une problématique tout à fait nouvelle, ignorée de la ‘chrétienté’ médiévale. Pour Bonaventure en effet, la recherche du vrai doit avoir des horizons plus vastes que ceux de la science seule. L’homme cherche aussi le sens global de la vie, du monde et de la société. Ces problèmes sont authentiquement humains, puisqu’ils sont implicites dans nos expériences partielles de sens. Il n’y a pas seulement les vérités factuelles qui sont objets de la recherche scientifique. Il y a aussi des vérités qui donnent de la joie, qui réconcilient l’homme avec le monde et lui donnent la paix intérieure, puisqu’elles sont des propositions de sens global de la vie, des réponses aux problèmes de fond[17].

Ces propositions de Bonaventure de tenir ouvert un horizon d’espérance à la recherche culturelle et au chemin de l’homme, a été au centre des préoccupations de Teilhard de Chardin. La preuve en est qu’à la fin de la description rigoureuse de tout le parcours de l’évolution qu’il nous offre avec Le Phénomène humain il a ressenti le besoin d’ajouter à la fin de son ouvrage, à l’attention du lecteur, Le Phénomène chrétien comme seule réponse pertinente au besoin indélébile de sens présent dans le cœur de l’homme.

En effet Teilhard se situe au point d’arrivée du divorce entre raison et foi, et il se trouve devant une culture scientifique et philosophique qui souffre pleinement des conséquences négatives de ce divorce dénoncé par Bonaventure. La raison – restée seule à enquêter sur les grandes interrogations posées par le cœur de l’homme – ne trouve d’autre réponse au besoin de ‘sens’ qu’en recourant – comme les anciens – au hasard et à la nécessité (l’énigmatique et inquiétant Fatum des tragédies grecques), même dans la lecture de l’évolution. « Le monde marche, c’est évident, mais nous ne savons pas d’où il est parti et où il va. Rassurons-nous ! Nous les hommes nous ne sommes qu’un phénomène étrange presqu’une farce de la nature, avec des questions de sens qui sont tues sut la naissance parce qu’il n’y a pas de réponses ». C’était grosso modo ce que beaucoup pensaient dans la première moitié du XX° siècle, et c’est ce que beaucoup continuent à penser aujourd’hui encore et non seulement en Occident.

L’homme de la première moitié du XX° siècle est celui pour lequel Teilhard nourrit beaucoup d’admiration et un grand respect pour les conquêtes extraordinaires qu’il est de plus en plus capable de réaliser, mais pour lequel il souffre et se soucie en le voyant aux prises avec les énormes défis que l’évolution pose devant lui. Pour lui, l’homme est la flèche la plus avancée de l’évolution, pris dans un processus accéléré de « noogénèse » où il est acteur et souhaite qu’il soit le plus pleinement responsable du chemin qu’il lui reste à parcourir, celui vers l’unité. Pour Teilhard le cadre est clair : pour continuer à croître selon la loi de complexité-conscience, le processus évolutif a besoin plus que jamais de l’engagement passionné de l’homme, qui a entre les mains les instruments pour le faire ; mais s’il ne trouve pas un sens et une direction qui lui donne le goût de cet engagement, l’humanité dans son ensemble peut décider de se mettre en grève et de se croiser les bras, comme des mineurs qui n’ont aucune espérance de pouvoir ouvrir un passage après l’écroulement de la galerie où ils se trouvent[18].

De cette façon, nos deux géants sont en plein accord pour nous rappeler, aujourd’hui, que si on peut éviter qu’une juste (relative) sécularisation et démythification du monde déchoient en profanation et se retournent ensuite contre l’homme, il faut tenir le dialogue ouvert entre science et foi, entre philosophie et révélation biblique, tout en sauvegardant leurs champs d’action respectifs autonomes.

«  Nous ne pouvons pas faire abstraction de la lumière de la Révélation, arrivée à sa plénitude dans l’Incarnation du Verbe : elle est la seule lumière capable de ‘soulever le voile’ sur le Dessein dont nous sommes partie et dont nous avons été rendus collaborateurs responsables et artisans conscients » : c’est en substance le cri que pousse à son attentif auditoire parisien le Docteur Séraphique désormais au terme de ses jours[19]. Il revendiquait avec force la reconnaissance de la centralité absolue du Christ, « Roi immortel des siècles et Seigneur de l’Univers[20] ».

Teilhard lui fait écho : « Ne continuons pas à tenir l’homme hors de la recherche scientifique ; ouvrons-nous à tout le phénomène et nous découvrirons l’homme comme la flèche la plus avancée de l’évolution, le point (provisoire) d’arrivée d’un devenir qui a eu un début et est tendu vers un but ». Il continue « Si jusqu’à la disparition de l’homme tout procédait par automatismes guidés par des lois inscrites dans la nature, avec au centre cette structure portante qu’est la loi de complexité-conscience, au point où nous sommes arrivés, avec l’homme qui a entre les mains les instruments pour continuer ou arrêter ce chemin, ou nous réussissons à trouver les raisons et les valeurs qui justifient notre engagement, ou ce sera l’échec »[21] Au fond, Teilhard dit à l’homme contemporain qu’il faut faire rentrer par la fenêtre ce Verbe du Père que Bonaventure suppliait de ne pas chasser par la porte, et ceci afin d’y comprendre à nouveau quelque chose eu égard au destin de l’Univers et, en conséquence, eu égard au destin (et au devoir) de chacun. La grand défi que nous avons devant nous, est, pour Teilhard, celui de faire faire à l’évolution ce bout de chemin qui doit conduire à l’unité tous les peuples de la terre ; et la seule unité pleinement positive pour lui est l’unité dans l’amour, rendue possible par l’attraction exercée sur chacun et sur tous par l’embrassement miséricordieux du Christ-Oméga, comme le Dieu de la Bible nous l’a révélé, nous demande et nous demande de faire. C’est à nous de favoriser l’accomplissement du dessein de Dieu, qui est de faire du Christ le cœur du monde[22].

 

La christologie de Teilhard et celle de Bonaventure

Voyons de plus prés rapidement le Christ de Teilhard, que nous donnons pour connu ; puis celui de Bonaventure.

 

Pour Teilhard :

Le Christ est l’Alpha et l’Oméga, sa venue dans l’histoire éclaire et donne sens à tout le devenir cosmique en l’orientant vers la Parousie. Le Ressuscité est la seule vraie lumière qui s’est allumée dans notre monde.

Sa présence s’irradie sur tout et sur tous. Le grand jésuite – mystique de nature comme le Docteur franciscain – en voit la « diaphanie » répandue partout. Pour lui, c’est le Cœur sacré d’où partent et se diffusent les rayons lumineux qui donne vie, chaleur et sens à tous les êtres et à l’univers. Le temps et l’espace sont pleins de Lui.

Le devenir cosmique a en Lui, Verbe incarné, son Moteur secret : c’est pour Lui que tout croît et s’organise de la pré-vie à la vie dans ses formes les plus élevées jusqu’à la disparition de l’homme, le seul être « capable de Dieu » (« capax Dei » pour Bonaventure), dont le visage sera assumé et divinisé par le Fils.

Toujours présent parmi nous dans l’Eucharistie, il anime avec l’action de son Esprit le Retour au Père : en tant qu’Omega il est le Pôle attirant et attractif d’une humanité en chemin vers l’unité ; dans le microcosme de l’humanité glorifiée il remettra au Père toute la création (pour Bonaventure le « reditus ad Patrem » est l’œuvre particulière du Verbum inspiratum).

Il est le visage aimable du Dieu invisible, qui demande (et mérite) d’être écouté et aimé passionnément au-dessus de tout autre bien. C’est ainsi qu’il a été aimé par nos deux grands mystiques.

 

Pour Bonaventure :

 

Le Christ Verbe de Dieu est le cœur de sa théologie, qui est définie par les chercheurs comme « Théologie du Verbe »[23].

Pour définir la figure du Christ, il se sert surtout de trois concepts : Verbum (Verbe), Exemplum (Modèle) et Medium (Centre). Ainsi le Christ est le VERBE de Dieu qui s’est fait chair : il est le MODELE (exemplum) visible qui rend manifeste à l’humanité l’archétype invisible, et enfin le CENTRE de tout l’univers.

Avec le terme Centrum, dont il use en abondance dans l’Hexaemeron, il veut désigner quelque chose de plus important que ce qu’indique le terme Medium, qu’il avait pourtant utilisé pour définir la position du Christ dans l’univers. Le Christ a certainement une position médiane entre Dieu et l’homme, en étant l’homme-Dieu, et comme Médian il occupe une position intermédiaire entre les deux extrêmes, et en conséquence joue son rôle de médiateur entre Dieu et l’homme. Mais alors qu’avec le terme Medium on indique une position centrale par rapport à deux points, avec le terme Centrum on exprime la position centrale par rapport à tous les points. En effet, Centrum se dit pour la sphère tandis que Medium se dit pour une ligne. En appelant avec insistance le Christ Centrum Bonaventure entend affirmer sa position centrale par rapport à tout l’univers, physique, spirituel et historique. Il est en position centrale par rapport à toutes les créatures et à tous les événements. Le mot Centrum appliqué au Christ résume à lui tout seul ce que Bonaventure veut dire des relations du Christ avec l’univers créé et avec l’univers de Dieu, il veut donc signifier qu’il est le point médian, la mesure, le centre de signification, le lien qui embrasse tout, soutient tout et conserve tout ; cette unité qui maintient la multiplicité, l’unifie tout en la laissant multiple et lui confère un sens profondément unitaire (il n’est pas nécessaire de relever l’affinité avec le Christ Alpha-Omega de Teilhard de Chardin) : « En Jésus Christ, écrit Bonaventure, est chaque trésor de science et de sagesse du Dieu caché. Il est le Centre de toutes les connaissances. Il est le point central de sept manières : de l’être qui est l’objet de la métaphysique ; de la nature qui est l’objet de la physique ; de la distance qui est l’objet des mathématiques ; de la doctrine qui est l’objet de la morale ; de la modestie qui est l’objet de la politique ; de la justice qui est l’objet de la théologie ; de la concorde qui est l’objet de la logique (…) La position du Christ est centrale dans sa génération éternelle, dans la passion, dans la résurrection, dans l’ascension, dans le jugement futur, dans la rétribution éternelle ou félicité » (in Hexaemeron, coll. I, n.11).

Bonaventure est ici un maître d’œuvre du christocentrisme, ou plutôt il est certainement un des plus grands maîtres du christocentrisme, et le noyau central de sa pensée est vraiment original. En considérant l’histoire humaine par rapport au salut, il la conçoit comme l’image géométrique du cercle qui tourne autour du Christ, qui en est le Centre, non plus seulement en tant que Verbe de Dieu, mais surtout parce que Fils d’une femme, Verbe incarné qui souffre et est crucifié[24].

« La synthèse doctrinale conçue et réalisée par Saint Bonaventure est une synthèse théologique, elle est sagesse théologique…Sa vraie grandeur, il faut la trouver dans sa merveilleuse vision chrétienne de l’univers transfiguré par le Verbe incarné et dans la clairvoyance avec laquelle il a su discerner et définir les étapes du savoir chrétien, de l’expérience sensible au seuil de la vision béatifique » (E. Gilson ).

Comme chez Augustin, chez Bonaventure aussi platonisme, néoplatonisme et christianisme forment un tout parfaitement réussi. Il s’agit d’une splendide œuvre d’art qui parle la langue de Platon et des néoplatoniciens, mais proclame en premier lieu et de façon sublime la vérité du Christ. La structure scalaire de sa grande synthèse est celle des néoplatoniciens, mais celui qui accomplit l’ascension vers la patrie céleste c’est Jésus Christ. Le Docteur Séraphique le déclare ouvertement dans le Prologue du Breviloquium : « La théologie (…) orientant vers soi la connaissance philosophique et prenant de la nature ce qui lui faut pour construire un miroir à travers lequel faire voir les œuvres divines, se dresse presque comme une échelle (…) au moyen du prêtre unique qu’est Jésus-Christ ». Avec une plus grande force il le répétera dans les Collationes de l’Hexaemeron, où il rassemble tous les arguments pour s’opposer à l’averroïsme latin, à la philosophie sans la foi, à l’abus de l’aristotélisme en théologie, et confirme la centralité absolue du Christ, Maître unique. Il dénonce la folie d’une raison qui prétend trouver des réponses pertinentes aux grandes questions sur le sens de la vie et de l’histoire en se fermant à la lumière de la révélation. Voilà un des sommets de tout l’Hexaemeron.

« Le Verbe exprime le Père et les choses qui furent faites pour Lui ; mais il nous conduit principalement à l’unité ‘agglomérante’ du Père, et sous cet aspect il est l’Arbre de la Vie, pour que par Lui nous revenions et soyons vivifiés dans la source même de la vie… Voilà le Médian qui produit le savoir, c’est-à-dire la Vérité, qui est arbre de vie… et au moyen de cette Vérité, tous sont retournés (au Père). Et de même que le Fils  a dit: « Je suis issu du Père et je suis venu dans le monde ; maintenant je quitte de nouveau le monde et je retourne au Père », de même tous diront : « Seigneur, tu es sorti de toi ô Dieu, et au moyen de toi, je viens à toi ». Voilà le Medium métaphysique qui conduit toutes les choses au Pèreet c’est toute notre métaphysique : de l’émanation, de l’exemplarité et de l’accomplissement. C’est-à-dire : être éclairés au moyen des rayons spirituels et être reconduits à Dieu. Et ainsi tu seras un vrai métaphysicien. »[25].

Le fondement et le sens ultime de toute chose, dans le macro comme dans le microcosme, ne sont repérables que dans le « Christus totus, en Celui qui est de droit et de fait l’Alpha et l’Omega, le Commencement et la Fin, parce que « par Lui et en vue de Lui » chaque chose est appelée à l’existence, et l’accomplissement du dessein du Père sera totalement résumé (conduit à l’unité) par Lui et en Lui, comme l’affirment avec force les hymnes christologiques du Nouveau Testament déjà cités. Teilhard de Chardin a la même ferme conviction quand il écrit : « Il ne saurait pas plus y avoir deux sommets au Monde que deux centres à une circonférence. L’astre que le monde attend, sans savoir encore prononcer son nom, sans apprécier exactement sa vraie transcendance, sans pouvoir même distinguer les plus spirituels, les plus divins de ses rayons, c’est forcément le Christ même que nous espérons »[26]

A la fin pour eux deux le vrai métaphysicien est celui qui lit la réalité tout entière à la lumière du Christ.

Vue dans la lumière de l’exemplarisme bonaventurien, toute la création devient vraiment une symphonie dont chaque réalité est une note essentielle, différente des autres, et en même temps si intimement unie aux autres que son absence nuirait au tout. Toutes les créatures sont « signes », « vestiges », « simulacres », « ad contuendum Deum » : chez St Bonaventure la notion de « contuition »[27] est très profonde et originale. Elle indique à la fois la connaissance et l’expérience de Dieu à travers la créature, du fait que ce même Dieu est présent dans l’homme comme dans les autres créatures. Cette expérience intime de Dieu dans la réalité fait saisir presque « co-naturellement » le sens religieux des choses. Tout pour Bonaventure est signe divin selon une certaine gradualité ou intensité qui arrive au Sacrement véritable, originel qui est l’humanité du Christ.

Dans notre condition de vie l’univers entier constitue alors comme une échelle pour nous élever à Dieu. Pour Bonaventure l’homme doit être réellement aveugle, sourd et muet, et même sot, pour ne pas reconnaître dans tant d’indices et symboles la présence divine. « Qui donc n’est pas éclairé par tant de lumières diffusées par la création est aveugle ; qui n’est pas réveillé par tant de voix, est sourd ; qui devant tant de merveilles créées ne loue pas Dieu, est muet ; qui derrière tant de signes clairs ne reconnaît pas le Principe Premier, est sot. Ouvre donc les yeux, tend l’oreille de l’esprit, ouvre ta bouche, suscite ton cœur pour que tu voies, écoutes, loues, aimes et vénères, exaltes et honores ton Dieu dans toutes les créatures, pour que tout le monde ne s’insurge pas contre toi[28] ».

 

Il est vraiment très difficile de trouver un système spéculatif – solidement ancré dans la révélation – qui développe d’une voix plus efficace le caractère « diaphane » du monde jusqu’à considérer l’univers entier, dans tous ses aspects, comme un grand complexe symbolique qui renferme et manifeste le divin. Mais Bonaventure est un mystique de très haute volée, formé à l’école de Saint François. Cette capacité renouvelée de « voir au-delà des choses » a été pleinement récupérée par une autre grand mystique, Teilhard de Chardin dont le précieux héritage permet aujourd’hui à beaucoup d’élargir les horizons de la connaissance et d’alimenter l’espérance dans l’avenir.

Dans le vaste ciel de la grande Scolastique l’étoile de Bonaventure est une des plus lumineuses et toujours fascinante. Ce qu’il nous a laissé dans ses écrits n’est pas un système philosophique ni, stricto sensu, un système théologique, mais « une synthèse mystique de l’augustinisme médiéval » (Gilson)[29].

« Certes, Bonaventure est enfant de son temps… mais s’il y a un penseur qui a centré le Mystère du Christ en relation avec l’histoire du salut, qui a interprété l’Ecriture Sainte comme un dévoilement progressif du Mystère du Christ dans l’histoire humaine, qui a vu la centralité universelle du Christ (dans l’ordre naturel et supranaturel) et sa centralité constante dans le retour final et glorifiant au Père, ce penseur est sans aucun doute Saint Bonaventure ![30] ».

 

Une correspondance de bon augure

 

De ce que j’ai cherché à exposer, je crois qu’émerge suffisamment la grande ressemblance qu’on rencontre à travers le visage du Christ traité par Bonaventure et celui que nous trouvons chez Teilhard de Chardin. Mais cela ne doit pas trop nous surprendre, puisqu’une telle syntonie est due simplement au fait que tous deux se sont nourris des textes christologiques de Jean et de Paul. Fascinés et littéralement saisis eux aussi par la Personne du Seigneur Ressuscité, comme le « disciple que Jésus aimait » et le grand apôtre des gentils, tous deux, l’ont accueilli en eux-mêmes et aimé passionnément et l’ont ensuite présenté à leurs contemporains comme la Clé de voûte de tout le monde qu’ils connaissaient (plus petit et statique pour Bonaventure, immense et en devenir pour Teilhard), comme la seule Lumière qui éclaire tout, donnant sens et valeur à ce devenir cosmique dont il est l’origine en tant qu’Alpha et point d’arrivée en tant qu’Oméga. Dans l’Incarnation le Verbe/Alpha a pris un visage humain, de Fils de Dieu il est fait Fils de l’Homme (comme Il aimait se définir Lui-même) pour être le moteur secret qui pousse et attire l’histoire vers son accomplissement : la manifestation glorieuse du Verbe/Oméga et la divinisation de l’homme, sommet et synthèse de la création, microcosme dans lequel se résument et sont rachetés tous les éléments du macrocosme.

 

« N’abandonnons pas le Verbe/Lumière… Ouvrons-nous de nouveau à la Lumière du Christ » : c’est l’appel que – bien que séparés par plus de sept siècles – nous lancent ces deux éminents hommes de science et grands « humanistes »[31].

Mystiques de race en plus de poètes raffinés, Bonaventure et Teilhard sont peut-être les plus grands et les plus passionnés des chantres de la grandeur du Christ, ayant vécu dans le deuxième millénaire. Une grandeur de dimensions cosmiques, au sens où elle n’a pas de limites parce qu’elle fonde et soutient tous les êtres de tous les temps. Il n’est donc pas déplacé de définir leur Christologie comme « cosmique[32] » et de les considérer tous deux comme « prophètes d’un Christ toujours plus grand ».

 

Je crois que c’est un motif de joie pour les amateurs de Teilhard de prendre acte que sa christologie, point de mire et suspectée pendant trop longtemps par des dénigreurs frileux, peut se vanter d’un précurseur illustre dans un théologien éminent et d’orthodoxie cristalline tel que le Séraphique Docteur. Alors que sa proximité avec celle de Duns Scot était connue et que Teilhard lui-même[33] en prenait conscience grâce à sa rencontre avec Gabriele Allegra, à Pékin, cette correspondance avec la christologie de Bonaventure est encore une donnée peu explorée. Faire émerger et faire connaître davantage cette affinité pourrait être une contribution précieuse au « dédouanement » définitif de la pensée théologique de Teilhard et au raccourcissement du temps où le Magister de l’Eglise pourra reconnaître ouvertement sa valeur doctrinale comme la limpide exemplarité de sa vie de religieux et de prêtre.

N’est-ce pas ce que tous les amis du Père Teilhard souhaitent[34] ?

 

[1]

Cf. Teilhard aujourd’hui, Edition Européenne, n. 18 juin 2015, pp. 9-30.

[2]

J’ai fréquenté Teilhard de Chardin depuis mes premières années de lycée, ayant entrevu en lui le prolongement actualisé de la ligne philosophico-théologique des grands maîtres franciscains. Et je n’ai été ni le premier ni le seul. Se référer, à titre d’exemple, aux pages dédiées aux traits franciscains de la christologie de Teilhard par le théologien hollandais N. M. WILDIERS, N.M. Wilders, Teilhard de Chardin. Coll Classiques du XXe siècle, ed Universitaires, 1960 et au beau témoignage sur le vif intérêt que le jésuite nourrissait pour la christologie franciscaine qui nous est offerte pat le Bienheureux Giovanni ALLEGRA, Mes Dialogues avec Teilhard de Chardin sur la Primauté du Christ chez St Paul et Duns Scot. Je trouvais dans la pensée de Teilhard une nourriture féconde pour ma foi, grâce à la clé de lecture qu’il m’offrait pour une compréhension « raisonnable » et ouverte à la transcendance du chemin de l’homme et de tout le devenir cosmique. L’homme n’est plus le centre d’un univers statique, mais flèche et pointe la plus avancée de l’évolution, englobé activement dans la construction du Royaume. Le Christ de St Paul, de François, de Bonaventure et de Duns Scot s’était déjà présenté à moi comme aimant et aimable. Et maintenant je le retrouvais encore plus lumineux dans le Christ Oméga de Teilhard, que j’appréciais en tant que prophète d’un Christ toujours plus grand (G. Martelet). Une découverte admirable que je n’ai plus cessé d’approfondir et de déguster, qui a nourri ma foi dans les bruyantes années de la contestation et qui continue à la nourrir encore aujourd’hui.

[3]

Expression reprise par le P Congar op, cfhttp://www.freres-capucins.fr/La-louange-de-Dieu-comme-pont.html

[4]

Pour Bonaventure : Alexandre de Halès nourrissait une telle estime pour ses qualités spirituelles et morales de son disciple, qu’il lui arrivait de dire qu’en lui il semblait ne pas y avoir les traces du péché d’Adam : « tanta bonae indolis honestate pollebat, ut magnus ille magister, frater Alexander, diceret aliquando de ipso quod in eo videbatur Adam non peccasse » ChroniconXXIV Generalium, in AF 3 (1897). Aussi E. Gilson, La philosophie de saint Bonaventure, 1924.

Selon les mots de Claude Cuénot : Teilhard reste par toute sa vie un directeur spirituel de grande classe et il sait toujours trouver les paroles qui guérissent, parce qu’il est profondément animé par la charité, une des vertus les plus radicales en lui… Il aime tous en Dieu, il se consacre à tous entièrement, «  C’est à croire qu’il n’a pas péché en Adam », in C. Cuenot, Pierre Teilhard de Chardin Les grandes étapes de son évolution, ed Plon, 1958, p 466

[5]

A la différence que le jésuite a eu moyen de se dédier à plein temps à la recherche scientifique et à la diffusion de sa pensée ; et il l’a fait comme conférencier recherché et écrivain fécond ; Bonaventure a dû trouver du temps pour la recherche et l’écriture dans son long et exténuant emploi de Ministre Général du plus nombreux et turbulent des nouveaux Ordres Mendiants.

[6]

  1. Clément, Taizé – Un sens à la vie, ed Bayard/centurion, 1997.

[7]

Cf. L. Gallini, « Teilhard de Chardin et la recherche d’un ‘mouvement vers’ dans l’évolution de la vie », in F. Facchini Complexité, évolution, homme. Cf Origines de l’homme et évolution culturelle (Relié ; trad : D Vittoz) Préface Y.Coppens, ed Rouergue, 2006;cf aussi :http://www.revue-resurrection.org/Evolution-et-creation-faut-il

 

[8]           L’averroïsme sert à désigner la totalité des doctrines philosophiques qui se réclament du philosophe arabe Averroès (1126-1198), dans tout l’ Occident chrétien ou juif, particulièrement au Moyen-Age et à la Renaissance .(Note de l’éditeur)

[9]

« Tout le cours des existences du monde est décrit par l’Ecriture, du commencement à la fin, comme un poème très beau et aux rôles ordonnés, où chacun peut voir réfléchies comme dans un miroir la variété et la beauté qui émanent de la sagesse de Dieu qui gouverne le monde. De même que personne ne peut percevoir la beauté d’un poème s’il n’en embrasse paas du regard tous les vers, de même personne ne peut percevoir la beauté de l’ordre qui gouverne l’univers s’il ne le scrute pas dans sa totalité. Puisque aucun homme ne peut vivre assez longtemps pour pouvoir la percevoir dans sa totalité avec ses yeux de chair, ni ne peut par lui-même en prévoir l’avenir, l’Esprit Saint nous fournit le livre de l’Ecriture Sainte, dont la longueur se compare au cours du gouvernement divin de l’univers » : Bonaventure, Breviloquium, 2, 4. Il ne faut pas oublier que la religion gréco-romaine n’est pas une religion révélée et qu’elle ne possède ps de livres sacrés. Cependant le désir d’un Dieu qui se révèle est fortement ressenti, pour donner un sens à ses aspirations et une orientation sure à la vie. Platon est l’interprète le plus affûté d’un tel désir : « Il n’y a qu’une chose à faire parmi celles-ci : ou apprendre d’autres où est la signification (de la vie et de l’histoire) ; ou la trouver par soi-même ; ou encore, si ce n’est pas possible, accepter celle des hypothèses humaines qui soit la meilleure et la moins critiquable et sur elle, comme sur un radeau, traverser à ses risques et périls la mer de la vie. Sauf que quelqu’un ne peut pas faire le trajet plus surement et moins dangereusement sur une barque plus solide qu’en se fiant à une révélation divine » Platon, Phédon, 85 c-d.

[10]

Cf. J.-F Lyotard, La Condition post-moderne, ed Minuit, 1979.

[11]

En effet, dans le contexte culturel de l’occident européen, l’homme a décidé de ses rapports avec le monde créé en faisant totalement abstraction du Créateur, et pense ainsi pouvoir s’en approcher allègrement non plus comme « gardien », mais en tant que « maître despotique » qui peut user et abuser de tout sans devoir en rendre compte. Mais un tel comportement n’est pas sans lourdes conséquences et depuis quelques temps nous en sommes désormais tous devenus conscients et soucieux. Même à cet égard – comme pour l’orientation fermée à la transcendance que l’Averroïsme latin voulait imposer à la recherche philosophique – Bonaventure sait voir loin et fait arriver jusqu’à nous un dur mais précieux avertissement : « Honore ton Dieu dans toutes les créatures, si tu ne veux pas que l’univers entier se rebelle contre toi » : Itinerarium mentis in Deum, c., 1, 15.

[12]

Jusqu’alors, en occident comme en orient le cosmos – comme une sphère – avait son unique centre dans le Christ accueilli comme Alpha et origine de tout, comme rédempteur/Sauveur avec l’Incarnation, et comme élévateur/divinisateur de l’homme, en lui, de tout l’univers comme Oméga. Bonaventure veut rester fidèle à cette vision décidément christocentrique. Il la reprend avec vigueur et la renforce avec sa « Théologie du Verbe : ce Verbe du Père vers lequel doivent être orientées toutes les formes du savoir et de l’être afin d’en saisir le sens plein (c’est la thèse qu’il propose dans l’opuscule De reductione artium ad theologiam).

[13]

Ce sera le génie de Saint Thomas de faire sur la pensée d’Aristote ce que Augustin et Bonaventure ont fait sur le Néoplatonisme : il l’a purifié de la fausse lecture introduite en Euroipe par les arabes et en a donné une interprétation qui l’a rendu féconde dans l’environnement chrétien. Il l’a si bien fait que son système philosophico-théologique de source aristotélicienne est devenu une structure portante de la pensée officielle de l’Eglise en occident, avec les qualités et les limites qui en ont dérivé.

Ce n’est que vers la moitié du XV° siècle qu’on a eu une tentative intéressante de récupérer la valeur de la tradition platonico/augustinienne/bonaventurienne dans la Florence des Médicis ; de grandes figures (Marsile Ficin, Nicolas de Cuse, Pic de la Mirandole…) ont présenté les présupposés idéaux à la source de la grande saison de l’humanisme chrétien.

[14]

N’oublions pas que les cinq premières décennies du XX° siècle, celles où s’est déroulée la vie active de Teilhard, ont été les plus sombres et les plus dévastatrices de l’histoire humaine, avec deux terribles et très longues guerres mondiales et avec l’affirmation de totalitarismes inhumains qui ont fait plusieurs dizaines de millions de victimes innocentes.

[15]

En substance, Pascal aussi lancera le même appel quelques siècles plus tard : « Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus‑Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus‑Christ. Nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus‑Christ. Hors de Jésus‑Christ, nous ne savons ce que c’est ni que notre vie ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous‑mêmes.

Ainsi sans l’Écriture, qui n’a que Jésus‑Christ pour objet, nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature.» B. Pascal, Pensées, Br 548)

[16]

A part les nombreuses pointes polémiques disséminées dans toutes les Collationes in Hexaemeron, la critique de philosophie « séparée » et fermée à la lumière du Verbe devient plus âpre dans les écrits bonaventuriens après 1265, quand, une fois terminées les traductions latines d’Aristote, on affirmait à Paris la tendance soi-disant averroïste.

[17]

Pour approfondir l’actualité et la force de cette mise en garde de Bonaventure, cf. A. Pompei, Bonaventura da Bagnoreggio. Il pensatore francescano, Miscellanea Francescana, Rome 1994, pp. 298-347.

 

[18]

« Semblable à des mineurs surpris par une explosion, et qui se coucheront découragés sur place s’ils pensent que leur galerie est bouchée en avant, l’Homme (plus il est Homme) ne saurait continuer plus longtemps à s’ultra-cérébraliser au gré de l’Évolution sans se demander si l’Univers, tout en haut, est ouvert ou fermé, c’est-à-dire sans se poser la question définitive (la question de confiance…) de savoir si, oui ou non, la lueur vers laquelle l’Humain dérive par self-arrangement de lui-même représente bien un accès à l’air libre, ou bien si elle correspond seulement à une éclaircie momentanée dans la nuit : auquel cas, je le jure, il ne nous resterait plus qu’à faire grève à la Nature, et à nous arrêter. ». In Les singularités de l’espèce humaineO C, 1956, t II, p. 361

[19]

Bonaventure mourra pendant le II° Concile de Lyon, le 15 juillet 1274, à seulement 37 ans.

[20]

Prex eucharistica(prière eucharistique) V

[21]

Cf. Epilogue du Phénomène humain, OC, t I, 1955,, p 324 sq

[22]

Voir les grands hymnes christologiques dans le Nouveau Testament qui ont nourri pendant toute leur vie la pensée de Bonaventure et de Teilhard.

[23]

. Cf. A. Gerken, La Théologie du Verbe. La relation entre l’Incarnation et la Création, selon Bonaventure. Editions Franciscaines, Paris 1969. Grand théologien, l’auteur de cette étude reconnaissait à la fin des années 50 la profonde affinité entre la christologie de Bonaventure et celle de Teilhard. Il écrivait en effet dans la Prémisse : « quand commence cet ouvrage en 1957, on pouvait croire que son intérêt d’actualité résidait dans l’exposition de l’économie trinitaire, malgré son caractère de simple introduction au développement de la recherche. Mais aujourd’hui que les discussions suscitées par la pensée de Teilhard de Chardin ont soulevé tant d’intérêt pour les relations entre histoire de la création et Incarnation, c’est cela le thème particulier traité dans la seconde partie de l’ouvrage, qui attirera l’attention de la majeure partie des lecteurs ».

Voir aussi l’étude complémentaire de P. Marinesi, le Verbum inspiratum, clé herméneutique de l’Hexaemeron de Saint Bonaventure, Istituto Storico Cappucini, Rome 1996.

 

[24]

Ce Verbocentrisme imprègne toute la pensée de Bonaventure et inspirera les splendides pages sur le christocentrisme de beaucoup d’autres théologiens franciscains, comme Matteo d’Acquasparta, Jean Duns Scot, Bernardin de Sienne, Laurent da Brindisi… jusqu’au fondateur de l’Université du Sacré-Cœur, père Agostino Gemelli.

[25]

Collationes in Hexaemeron I, n.17 : « Le cercle métaphysique de la réalité qui a son origine dans l’amour éternel du Père et désire par essence retourner à Lui, a un centre dynamique dont il prend mouvement et ordre : le Verbe. La centralité radicale du Verbe dans l’Hexaemeron devient christocentrisme absolu… exprimé par Bonaventure par le « triplex Verbum » (increatum, incarnatum, inspiratum) et constitue sa ‘solution’ pour instaurer un dialogue entre des tensions contraires qui opposaient l’intelligence et l’amour, la raison et la foi, la révélation et la science. Au moyen de son christocentrisme absolu Bonaventure offre une réponse unitaire pour affirmer la possibilité d’un itinéraire de l’âme vers Dieu fait par degrés où tout l’homme, avec son intelligence et son amour, revient à Dieu » : P. Maranesi, article Verbum, in Dictionnaire Bonaventurien. Messagero, Padoue 2008.

[26]

            Le Milieu divin,OC, t IV, 1957, Ed. du Seuil, 1957, pp.200- 201..

[27]

Il ne s’agit pas seulement de « partir » du monde pour arriver à Dieu, mais d’entrevoir Dieu dans le monde et au contact du monde grâce à cette présence divine qui investit chaque organisme créé d’une intensité croissante qui va du « vestige » -‘ce sont les ‘empreintes’ laissées par le Créateur dans chacune de ses créatures- à l’image (et c’est l’homme capable de connaître et aimer Dieu), jusqu’à la similitude supranaturelle (qui dit grâce et demeure de Dieu dans l’âme humaine) : cf. art. « Contuitio » in Dictionnaire bonventurien.

[28]

Itinerarium c. 1, n.15 : Appprécions le bon latin de Bonaventure : « Qui igitur tantis rerum creaturarum splendoribus non illustratur caecus est : qui tantis clamoribus non evigilat surdus est ;qui ex omnibus his effectibus Deum non laudat mutus est ; qui ex tantis indiciis Primum Principium non advertit stultus est. Aperi igitur oculos, aures spirituales admove, labia tua solve et cor tuum appone, ut in omnibus creaturis Deum tuum videas, audias, laudas, diligas et colas, magnifices et honores, ne forte totus contra te orbis terrarum consurgat. »

[29]

Mais n’a-t-il pas été dit que la pensée de Teilhard aussi n’est pas facile à situer dans un domaine précis à cause de son passage fréquent de la science à la philosophie et de la théologie à la mystique ?

[30]

V.C. Bigi, Etudes sur la pensée de St Bonaventure, 1988.

[31]

Au sens « d’experts en humanité » parce que profonds connaisseurs de ces hommes au milieu desquels ils sont toujours restés et qu’ils ont aimés et servis toute leur vie. Hommes de culture éminents et fins intellectuels, oui, bien enracinés dans la vie réelle, à la différence de tant d’autres, grands intellectuels pourtant, qui ont passé leur vie dans les livres, comme St Thomas d’Aquin et Jean Duns Scot, et comme une bonne partie des philosophes postérieurs.

[32]

Cf. N.M. Wilders,Teilhard de Chardin. Coll Classiques du XXè siècle, ed Universitaires, 1960

[33]

Cette proximité a été saisie tout de suite et continue à être étudiée par plusieurs théologiens américains connus comme Zachary Hayes, Ewert H. Cousins, Ilia Delio, etc.. ce n’est pas un hasard si, justement est venue des Etats-Unis à la fin des années 50, la demande insistante faite au père Allegra d’écrire un compte-rendu des ses conversations pékinoises avec le père Teilhard.

[34]

Ndt. En français dans le texte.